Emmitouflés dans des châles, couvertures grises autour des épaules, certains pieds nus dans leurs sandales malgré le froid, ils sont des milliers de migrants venus du Moyen-Orient qui font tomber frontière après frontière dans leur marche effrénée vers l?Eldorado de l?Europe occidentale.
A Berkasovo, au c?ur de l?ex-Yougoslavie, aujourd?hui passage frontalier ad hoc entre la Serbie et la Croatie, les policiers ne s?émeuvent plus devant le flot ininterrompu qui passe sous leurs yeux sans mot dire et sans le moindre contrôle depuis maintenant plusieurs jours.
Le visage mangé par une barbe de trois jours, Mouhamad Eljam, 33 ans, est bien malheureux. "Mon enfant âgé de quatre ans est très malade et ma femme m'a quitté", explique le Libanais.
Il veut se rendre en Suède, "pour construire une nouvelle vie" pour son enfant qui est resté à Beyrouth, le temps pour lui de s'installer en Europe.
"Au Liban j'avais une petite entreprise spécialisée dans le bâtiment mais je sais aussi cuisiner, façonner le bois et surtout je n?ai pas peur de travailler", assure cet homme dodu vêtu d?un survêtement bleu foncé qui tranche avec le froid hivernal.
Comme Mouhamad, une fois descendus d'autobus en territoire serbe, ces migrants, dont certains fuient les conflits de Syrie, Irak ou Afghanistan, empruntent à pied les trois derniers kilomètres les séparant de la frontière croate.
- Passage à un rythme rapide -
Des tentes militaires dressées sur la route goudronnée forment une sorte de tunnel qui se poursuit sur environ 500 mètres en territoire croate, ce qui permet aux réfugiés de trouver un maigre abri lorsqu'il fait mauvais.
Des barrières métalliques mobiles, hautes d'un mètre et longues d?environ deux, s?enchaînent pour former deux couloirs par lesquels les gens avancent. Pas moyen de s?assoir ni de se reposer. A Berkasovo, le passage se fait à un rythme rapide, depuis un accord récent portant sur une meilleure coordination entre les polices des deux pays voisins.
Pourtant, un village de petites tentes de camping abandonnées sur un champ boueux bordant cette route est là pour rappeler les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles, il y a encore quelque jours, les migrants patientaient sous la pluie avant de se rendre en Croatie, pays membre de l'UE, sur leur route vers la Slovénie et ensuite plus au nord, vers l'Allemagne et la Suède.
Des vêtements, des couches voire des chaussures dépareillés jonchent sur des kilomètres les champs bordant cette petite route. Des détenus serbes de droit commun, gilets vert fluorescent pour bien être distingués, ramassent les immondices au râteau et à la pelle dans des couvertures grises abandonnées par les réfugiés, avant de leur nouer les quatre coins en forme d?énorme boules et de les jeter dans la remorque d'un tracteur.
Nour a 23 ans. Cette étudiante en architecture de Damas a pour but de rejoindre ses parents et ses deux frères, qui se trouvent déjà en Autriche.
Doudoune blanche et foulard gris sur la tête, elle pleure le drame que vit son pays et s'insurge contre "la mafia des passeurs" mise en place en Turquie.
"Ils sont dangereux et armés", explique d'un ton grave la jeune femme à la manucure soignée, assurant qu'avec ses quinze compagnons de route, eux aussi des jeunes Syriens, ils ont payé "mille dollars chacun" le passage en bateau pneumatique de Turquie en Grèce, première étape du périple à travers les Balkans vers la riche Union européenne.
A Berkasovo, côté croate, des autobus attendent pour amener les réfugiés, non loin, à Tovarnik (est) d'où, à bord de trains, ils seront acheminés à la frontière slovène. Nour l'ignore, mais ce voyage sera gratuit, aux frais de l?État croate.
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