Les cités "La Noé" à Chanteloup-les-Vignes et "la Grande Borne" à Grigny, soeurs en architecture et en utopie, situées à l'ouest et au sud de Paris, ont subi un sérieux lifting depuis les émeutes de 2005. Mais leurs habitants ont encore du mal à percevoir le changement en profondeur.
Nicole Dechêne, qui a habité à la Grande Borne de 1980 à 2000, se souvient avec émotion des grands espaces verts voulus par l'architecte Emile Aillaud autour des bâtiments bas aux couleurs acidulées déployés en forme de serpentins.
"Quand je suis arrivée, ce qui m?a intéressée c?était la sécurité, les espaces verts pour que les enfants n'aient pas de route, de voitures", dit-elle à l'AFP.
De fait, dans les deux cités, l'architecte avait "voulu rompre catégoriquement avec l'uniformité et le plan orthogonal des premiers grands ensembles. Il avait voulu construire une ville "pour les enfants", une "utopie", souligne le géographe Hervé Vieillard Baron, auteur de "Banlieues et périphéries".
Elles résultent toutes "d'un incontestable souci esthétique", ajoute-t-il, avec des détails décoratifs encore présents: les portraits géants d'écrivains, Beaudelaire ou Rimbault, qui accueillent le visiteur à Chanteloup, et les fresques de mosaïques à Grigny.
Mais refermées sur elles-mêmes, elles sont devenues parmi "les plus disqualifiées" du pays, dit le géographe à l'AFP.
"Il y a 20 ans, Chanteloup était un territoire sans avenir", concède son maire, Catherine Arenou, "avec un chômage majeur, de la délinquance, () des problèmes éducatifs considérables dans un bâti qui se détériorait" et où la loi ne s'appliquait pas de la même façon qu'ailleurs. Un ghetto.
Première stigmatisée --notamment par le film "La Haine" en 1995-- première repêchée. Le plan de rénovation urbaine de Jean-Louis Borloo commence dès 2003 à Chanteloup, plutôt épargnée par les émeutes en 2005.
"On a travaillé sur l'urbain, le social et l'éducatif en même temps" ainsi que l'associatif, explique Françoise Nung, qui a longtemps dirigé la politique de la ville à Chanteloup.
"Au lieu de dire +que fait l'Etat?+ on a demandé +qu'est-ce-qui-te-manque?+", en utilisant les théories de l'éducateur brésilien des favelas Paolo Freire", raconte-t-elle, "cela devenait un laboratoire participatif".
- "Beaucoup de chômeurs ont le bac" -
N'empêche, au moment des émeutes, il y a dix ans, une centaine de jeunes restaient encore en exclusion scolaire lourde à Chanteloup. La ville a institué des éducateurs de référence pour un suivi de A à Z, notamment via le sport. De la haute couture.
Et le niveau a monté. "Ce qui change, c'est que nos chômeurs sont beaucoup plus qualifiés, beaucoup ont le bac, c'est une réalité qu'on connaissait fort peu il y a quinze ans", avoue, grinçante, une responsable.
Sur le plan urbain, "il y a des routes maintenant, ça va mieux. Avant, certains avaient peur de traverser la cité", se félicite Carole Alimi, boulangère à La Noé depuis 20 ans.
Un de ses clients n'est pas du tout d'accord: "Les jeunes font trop de bruit en moto, ça manque de respect", dit cet homme en refusant de décliner son identité, comme la plupart des personnes rencontrées qui se méfient des médias.
Un gardien d'immeuble acquiesce: "Les murs ont changé, mais ce qu'il y a dans la tête des gens ici n'a pas changé du tout".
A la Grande Borne, où de nombreuses voitures avaient brûlé en 2005, la rénovation est loin d'être finie. Les routes sont en train d'être percées.
Un centre pour la jeunesse a vu le jour. Les doubles entrées des immeubles ont été condamnées pour éviter les trafics, des digicodes installés.
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