Alain tire son lourd cabas à roulettes qui contient "l'essentiel" de sa vie. A la rue depuis quatre ans, il a "eu de la chance", assure-t-il, il vient d'obtenir un casier dans une bagagerie pour SDF, qui lui permet de se délester d'une partie de ses affaires et d'alléger son quotidien.
"C'est dur d'avoir une place", soupire le sexagénaire borgne, à l'entrée de la bagagerie "11.000 Potes", installée dans les bains-douches municipaux du XIe arrondissement de Paris. "Ça fait des années que je transporte tout, mon chariot fait en moyenne 15 kg. Dans le métro, sur les trottoirs, on tire, on descend, c'est fatiguant".
Le principe est simple: mettre à disposition des SDF des casiers où ils peuvent laisser leurs biens en sécurité et y accéder aux heures d'ouverture.
La capitale compte six bagageries, toutes saturées. Certaines sont installées dans les bains-douches, dans le cadre de conventions avec la mairie, d'autres dans des locaux indépendants. Elles sont toutes gérées par des bénévoles. Chacune propose de 27 à 60 casiers, qui s'ajoutent aux consignes et vestiaires de certains accueils de jour et centres d'hébergement. En 2012, l'agglomération parisienne comptait au minimum 30.000 SDF adultes.
Dans ces casiers, "des bouts de vie, vêtements, papiers, livres", explique Claire Grover, créatrice de "Bagagérue", sur l'ile Saint-Louis. Plus insolite, elle a aussi vu des casseroles ou "une valise bourrée de chaussures très chics".
"Ils mettent leurs biens les plus précieux, leurs souvenirs, qu'ils ont peur de perdre ou de se faire voler", explique Bernard Perisse, directeur de "11.000 Potes".
- Créer une bagagerie par arrondissement -
Alain, lui, y a rangé "des bouquins, des vêtements, des affaires de toilette". La bagagerie, "ça permet de mieux s'organiser", dit-il. Mais il sait que la place ne lui est accordée que pour quelques mois car la demande est forte.
"Ça dépanne les sans-abri mais ça doit surtout être le début d'un parcours d'insertion. L'objectif n'est pas de maintenir à vie les SDF dans une bagagerie", explique Lofti Ouanezar, de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars) d'Ile-de-France.
La plupart des structures exigent que le SDF passe par une association "partenaire" pour avoir un casier. "Ils arrivent dans une démarche de sortie de rue", explique Chantal O'Callaghan, présidente de la Bagagerie du XXe. "En débarrassant les personnes de leurs sacs, on les rend plus autonomes".
Günther Baumann, ancien SDF de 56 ans, en a bénéficié. Aujourd'hui il tient un blog dans lequel il réclame "plus de bagageries" pour des sans-abri qui font "facilement 15 km par jour" et ont "vite mal au dos". Il regrette les horaires variables de ces structures, dépendantes des bénévoles qui assurent les permanences. Mais certaines, comme Antigel, dans le XVe, assurent un service quotidien, tôt le matin et tard le soir, pour que les sans-abri ne s'encombrent pas de leur sac de couchage la journée.
C'est le cas de Stéphane, la quarantaine, qui vient "quasiment tous les jours". Son casier déborde, même s'il assure avoir "fait du tri". "Avant j'allais à la consigne de la gare mais ça coûte trop cher".
Il profite chaque matin du petit déjeuner, d'un accès internet, de cabinets de toilette "On redonne accès à une vie sociale", insiste Pierre Delaroche, président d'Antigel, qui assure que 30% des bénéficiaires de la bagagerie sortent de la rue. "Ils réapprennent ce qu'est un horaire, le respect de la vie en commun".
Café, laverie, fer à repasser, coin pour se changer mais aussi aide à la recherche d'un hébergement, les bagageries offrent souvent plus qu'un simple casier. D'où la nécessité pour Mme O'Callaghan de créer "une bagagerie par arrondissement".
Fin septembre, les Parisiens ont plébiscité, lors du vote du budget participatif 2015 de la mairie, un projet de solidarité prévoyant entre autre le développement de bagageries.
Une nouvelle doit ouvrir en janvier, dans le Ve arrondissement. D'autres projets sont en attente, mais le processus est long, souligne Lofti Ouanezar. "Il y a le local à trouver et son financement, les bénévoles à fidéliser".
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