La politique de l'asile est mal "maîtrisée": c'est le constat sévère de la Cour des comptes, qui s'inquiète de voir la majorité des déboutés rester en France et les coûts augmenter, dans un rapport publié mardi.
Ce rapport sur "l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile", signé du premier président de la Cour, Didier Migaud, était très attendu après des fuites dans la presse, au printemps, sur un document interne et provisoire.
Dans un entretien à l'AFP, M. Migaud a regretté mardi une "lecture hâtive et polémique" de ces travaux, qui n'étaient alors "pas achevés". Néanmoins il pointe lui-même des "défaillances" en matière d'asile, un sujet très sensible en pleine crise migratoire en Europe.
"In fine plus de 96% des personnes déboutées resteraient en France", selon le document (un "référé", dans la terminologie de la Cour), invoquant notamment la longueur de la procédure. La Cour s'appuie sur des chiffres de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), faisant état de 1.432 éloignements sur 40.206 personnes déboutées en 2014.
"Il en résulte une politique publique de maintien sur le territoire national des personnes déboutées, qui paraît subie car elle n'est pas maîtrisée par l'Etat", note la Cour.
Mais, dans un courrier, le Premier ministre Manuel Valls a "regretté" que la Cour ait négligé dans ce calcul les cas des demandeurs d'asile obtenant dans le respect du droit un autre titre de séjour, ainsi que les départs volontaires.
Le ministère de l'Intérieur, qui conteste ce chiffre de 96% comme "faux", fait valoir que 6.500 titres sont délivrés chaque année au titre des étrangers malades et 9.000 au titre de parents d'enfants français, dont une grande partie après l'échec d'une demande d'asile. Bernard Cazeneuve avait estimé en juillet "autour de 20%" le nombre de déboutés quittant le territoire.
Dans sa lettre à Didier Migaud, le Premier ministre recommande d'"éviter les raisonnements simplificateurs", assurant que l'augmentation du taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) constitue une "priorité".
Dans ce rapport, la Cour appelle à "éviter la dilution de la politique d'asile", d'abord en renforçant le taux d'exécution des OQTF. Ce taux n'atteint, selon elle, que 6,8% pour les déboutés du droit d'asile, "à comparer avec une moyenne de 16,8% pour l'ensemble des étrangers en situation irrégulière".
- Hébergement des sans-abri -
La Cour prend "acte" des mesures annoncées par le gouvernement, tant dans son "plan migrants" que dans les dernières circulaires aux préfets. Mais elle appelle à les "amplifier".
En dépit de l'afflux de migrants en Europe ces derniers mois, le nombre de demandeurs d'asile devrait rester à peu près stable cette année en France, après environ 65.000 en 2014. Les trois quarts des demandes sont rejetées chaque année.
Au chapitre des coûts, la Cour note "des dépenses en forte croissance". Celles-ci se sont élevées à "690 millions d'euros" en 2013 (hébergement, aide sociale), auxquels il faut ajouter dépenses de santé et frais de scolarisation "qu'il est difficile d'évaluer avec précision".
Les dépenses ont ainsi augmenté de 52% entre 2009 et 2014, soit plus que la progression de 36% des demandes d'asile sur la même période.
La Cour, qui appelle à mieux piloter ces dépenses, explique cette situation par les délais très longs - jusqu'à deux ans - de traitement de la demande d'asile et se félicite de l'"objectif ambitieux" posé par la réforme votée cet été de ramener ce délai à neuf mois.
Un raccourcissement de la durée de la procédure permettrait aussi "de dissuader certaines demandes d'asile a priori infondées et de rendre moins délicat l'éloignement des personnes déboutées", juge-t-elle.
La Cour des comptes déplore enfin que "l'engorgement des hébergements pour les demandeurs d'asile se répercute sur l'hébergement d'urgence de droit commun" à destination des sans-abri et s'inquiète d'un "risque d'éviction" des SDF. Pour elle, il faut "définir un plan pluriannuel de création de places" en centres d'accueil.
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