Cinq décennies après sa fermeture, le Premier ministre Manuel Valls inaugure vendredi le musée-mémorial du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), où échouèrent près de 60.000 Espagnols, juifs, tziganes et harkis, un lieu de mémoires "enfouies" qui entend résonner avec les migrants du XXIe siècle.
L'historien Serge Klarsfeld l'a appelé le "Drancy du Sud" mais Rivesaltes n'était pas seulement un camp de déportation de juifs de France. "C'est un cas unique en Europe", selon Agnès Sajaloli, directrice du mémorial. "C?est le plus grand camp d'internement de l'Europe de l'ouest, qui recouvre trois guerres: une guerre civile, une guerre coloniale, une guerre mondiale".
Le site militaire Joffre de 600 hectares est transformé à partir de 1941 en camp pour une dizaine de milliers de républicains espagnols fuyant la dictature de Franco.
Très vite, il renferme également 5.000 juifs dont la moitié seront déportés en Allemagne, des tziganes puis des collaborateurs et prisonniers de guerre, avant l'arrivée, vingt ans plus tard, de plus de 20.000 harkis au sortir de la guerre d'Algérie.
Leur point commun: être des "indésirables" du XXe siècle. "Ce sont toutes des populations considérées comme potentiellement dangereuses", déclare à l'AFP Abderahmen Moumen, co-auteur avec Nicolas Lebourg de "Rivesaltes, le camp de la France".
- "Une même logique d'exclusion" -
A Rivesaltes, "on devenait invisibles", se souvient ainsi Fatima Besnaci-Lancou, fille de harki, qui avait 8 ans à son arrivée.
Aujourd'hui sexagénaire, Mme Besnaci-Lancou veut "symboliquement" déposer cet "énorme fardeau" au mémorial, parmi les témoins dont l'exode se projette sur les murs en béton du nouveau musée.
"D'un côté, il y a l'Histoire, et de l'autre, les porteurs de mémoire, héritiers d'histoires très douloureuses", souligne Pierre Daum, spécialiste du passé colonial.
Le musée "regarde le XXe siècle à hauteur d'homme, à hauteur de déplacé, dans le regard de la souffrance des hommes", commente le réalisateur José Alcala, responsable de l'iconographie du mémorial.
Près de 21 millions d'euros d'investissements et neuf mois de recherches ont été nécessaires pour "tirer les conséquences de l'Histoire". "Le plus difficile était de retracer la rudesse des conditions de vie dans le camp, et la répression", dit-il à l'AFP.
Car dans les baraquements de l'armée, où s'engouffrent les vents violents, les déplacés luttent contre la vermine, la gale, la tuberculose, les maladies liées au manque d'hygiène.
Il y a aussi le froid, la faim et le manque d'eau. Et puis les punaises qui "rentraient dans la bouche, dans les oreilles", se rappelle Antonio De la Fuente, républicain espagnol.
- Du béton 'lourd sur la conscience' -
L'architecte du mémorial, Rudy Ricciotti, a voulu témoigner de "la mémoire enfouie". Il a conçu un monolithe de béton "un peu lourd sur la conscience", auquel le visiteur accède par une rampe partiellement enterrée.
Il est construit au centre des baraques délabrées de l'îlot F, aujourd'hui envahies par les ronces, mais qu'il n'est pas question de restaurer.
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