Symbole, comme Polytechnique, de l'élitisme à la française, l'ENA forme depuis sa création il y a 70 ans les grands serviteurs de l'Etat. Ses fondateurs voulaient "démocratiser" l'accès à une haute administration unifiée, une mission partiellement remplie.
Née au lendemain de la Seconde guerre mondiale sur une idée du Conseil national de la résistance, l'Ecole nationale d'administration devait "refondre la machine administrative française", selon l'ordonnance du 9 octobre 1945 qui l'a créée. L'ambition était de "sortir d'une haute fonction publique () assez dynastique", rappelle sa directrice Nathalie Loiseau.
En 70 ans, l'ENA, installée à Strasbourg depuis 1991, a formé quelque 6.500 hauts fonctionnaires français. Et accueilli depuis 1949 plus de 3.400 élèves étrangers venus de 129 pays. Des étudiants recrutés via un concours extrêmement sélectif et nommés dans les grands corps de la fonction publique - Inspection des finances, Conseil d'Etat, Cour des comptes - en fonction de leur classement de sortie.
Avec des hauts fonctionnaires venant "de milieux très divers", ce système méritocratique est un "atout que beaucoup d'autres pays n'ont pas", relève Mme Loiseau. Mais il a ses limites en termes de diversité de recrutement.
"L'ENA n'a pas réalisé le brassage social espéré", avec "autour de 70%" des élèves "ayant un père exerçant une profession supérieure", estime une récente étude du Cevipof. Un manque de diversité commun à "toutes les grandes écoles", rétorque la directrice.
Outre l'administration, on retrouve nombre d'anciens élèves dans le bottin politique ou financier.
Le président de la République, François Hollande, en fait partie, tout comme François Villeroy de Galhau, nommé à la tête de la Banque de France après une carrière de directeur général délégué chez BNP Paribas, ou Agnès Saal, la présidente de l'Institut national de l'audiovisuel poussée à la démission pour ses extravagantes notes de taxi.
- 1% des élèves fait carrière en politique -
"On n'est pas là pour décider du destin de nos anciens élèves", observe Mme Loiseau qui souligne que seulement "1% des anciens élèves font une carrière politique à un niveau national" et "à peu près 5%" passent dans le secteur privé.
Elle reconnaît toutefois que "trois présidents de la République" (outre François Hollande, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac) parmi les anciens, c'est "une visibilité évidente". Une apparente sur-représentation dans les hautes sphères de la politique qui attise les critiques de l'"énarchie".
Celles de Bruno Le Maire (Les Républicains), pourtant lui-même énarque, visent la "promotion Voltaire au pouvoir", qui rassembla en 1980 sur les bancs de l'ENA François Hollande, les ministres Ségolène Royal et Michel Sapin, le secrétaire général de l'Elysée Jean-Pierre Jouyet, mais aussi Dominique de Villepin ou Renaud Donnedieu de Vabres à droite.
D'une autre génération, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron ou celle de la Culture Fleur Pellerin, sont aussi membres de ce club élitiste. Comme, côté entreprises, Michel Pébereau, l'ancien patron de BNP Paribas, ou Guillaume Pepy, le patron de la SNCF.
Des figures qui ne reflètent pas la destinée de "l'écrasante majorité" des élèves qui "viennent se mettre au service de l'intérêt général", insiste la directrice de l'ENA. Pour eux, elle veut développer, en réformant la scolarité, cette "école supérieure du management public" qui porte les valeurs de "neutralité, intégrité, exemplarité", indissociables du service public.
A partir de janvier, les enseignements seront très axés sur le management public, l'éthique, la déontologie, les enjeux de la révolution numérique, explique Mme Loiseau, afin de coller aux évolutions de l'action publique et aux nouvelles "attentes des citoyens".
En amont, le concours d'entrée a lui aussi été révisé pour recruter "de la manière la plus diverse possible".
"Des ajustements cosmétiques", estime Adeline Baldacchino, sortie de l'école en 2009, qui critique le contenu de la scolarité dans "La ferme des énarques" (éd. Michalon). Pour elle, il faudrait insister sur le "savoir critique", prévoir "des stages de terrain au contact direct, quotidien, des citoyens" et des modules de gestion et de management mais sans transformer l'ENA "en une business school".
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