Ruelles étroites jonchées d'ordures, tables en fer sur la chaussée, musique jusqu'au bout de la nuit: attirés par l'odeur alléchante de plats égyptiens traditionnels, de riches habitants du Caire affluent dans les restaurants des quartiers pauvres de la capitale.
Kaber Sobhi fait partie de ces quelques gargotes prisées par l'élite, qui vient y déguster de succulentes brochettes mais aussi se plonger dans l'ambiance animée des quartiers défavorisés, qui fourmillent de monde et bruissent de mille activités jusqu'au petit matin.
Au bout d'un dédale de ruelles surpeuplées où il faut se faufiler pour arriver à ce restaurant du quartier de Choubra, des enfants filent à vélo et les enceintes des touk-touks, ces petit taxis multicolores à trois roues, crachent de la musique électro-chaâbi endiablée.
Arrivés à bord de leurs élégantes voitures, les habitants des beaux quartiers s'installent sur des tables en fer, parfois coincés sous le linge qui pend des balcons, pour savourer des côtelettes d'agneau, des kebabs (brochettes d'agneau ou de b?uf) ou encore des keftas (brochettes de viande hachée), préparées sous leurs yeux.
Jeune étudiant en pharmacie, Nour al-Din Jevara est venu de sa banlieue huppée avec des amis. Alors que le serveur dépose devant eux de petites assiettes en métal contenant du tahiné - sorte de crème de sésame - de la salade et des cornichons, ils commandent des kebabs, des keftas et du foie.
"Ce n'est pas important, la propreté de ce quartier", s'amuse l'étudiant de 21 ans. "Ce qui compte, c'est la qualité des plats. Ici, la nourriture est propre et succulente", ajoute-t-il, se servant dans une pile de galettes de pain égyptien tout juste sorties du four.
A quelques pas de là, un employé du restaurant découpe la viande aussitôt jetée sur la grille d'un grand barbecue à charbon de bois, dégageant un délicieux fumet.
"Tout se passe devant nous", se réjouit Walid Rachad, ingénieur de 33 ans, qui se dit ainsi rassuré.
Minuit approche, les clients continuent d'affluer en masse, et des familles attendent debout qu'une table se libère. Yvette Adib est venue avec son mari du quartier chic d'Héliopolis pour savourer la molokheya, célèbre soupe égyptienne à la consistance visqueuse à base de corète, épicée à l'ail et à la coriandre, servie avec du riz et du poulet.
"Ici, vous sentez le pouls de la vie", s'enthousiasme cette jeune femme, médecin trentenaire, qui précise que la molokheya de Kaber Sobhi est meilleure que celle de sa mère.
- 'Zizo le fétide' -
Les noms parfois inquiétants de ces restaurants ne découragent pas les fils de bonne famille: Zizo Natana (Zizo le fétide, en arabe) ou encore Abdou Talawoss (Abdou pollution), sont tous deux réputés pour leurs sandwichs.
Non loin de Kaber Sobhi, un autre restaurant populaire attire les familles aisées: chez Bibo, les plats à base de mouton et de légumes mijotent doucement au four, dans des cocottes en terre cuite.
Sur les tables alignées le long d'une route empruntée par des camions rejetant d'épaisses fumées noires, les serveurs disposent des verres en plastique remplis de "whisky". Pas la boisson alcoolisée, mais une vinaigrette à base de citron, vinaigre et cumin que les clients sirotent en mangeant.
Venu avec dix amis, Hossam Marei, un médecin, mange debout. "Je viens ici parce que je ne peux pas demander à ma famille de préparer ces plats", affirme-t-il, après une dernière bouchée. "Dans les maisons, plus personne ne cuisine dans ces casseroles", déplore-t-il.
Au pied des vestiges millénaires de la muraille qui protégeait autrefois le Caire fatimide, Zizo Natana se targue de servir, depuis 1962, les sandwichs de merguez et de foie les plus célèbres de la capitale.
Le propriétaire, Hajj Zizo, a fait contre mauvaise fortune bon c?ur, et accepte le surnom donné à son restaurant par le célèbre acteur comique égyptien Adel Imam.
Dans le film "L'expérience danoise", la star, qui joue le rôle d'un ministre, demande à ses fils où ils veulent dîner, énumérant une ribambelle de restaurants aux noms farfelus. "On pourrait aller chez Zizo le fétide", dit-il. "Qui ?" lui répondent ses enfants, perplexes.
Aujourd'hui, "c'est mon ami", affirme Hajj Zizo, à propos de l'acteur. "Évidemment, j'ai porté plainte, mais mon fils m'a dit que c'était pour rire. Et ils ont appelé pour s'excuser", ajoute le propriétaire du restaurant, qui accueille désormais de nombreuses vedettes du cinéma ou des stars du ballon rond.
Etudiant en journalisme, Ahmed Hashem, résume, enthousiaste: "Bien sûr, vous pouvez trouver des sandwichs partout. Mais ici, on vous sert de la bonne nourriture, dans un cadre historique".
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