La fin du communisme, les attentats du 11 septembre: "aucun de ces événements n'avait été anticipé" observe l'historien Marc Ferro qui, à bientôt 91 ans, revient dans son essai "L'aveuglement", sur ces bouleversements qui ont changé l'ordre du monde.
Jamais moralisateur mais se plaçant, comme à son habitude, sur le terrain de la pédagogie, Marc Ferro explique cette cécité par de nombreux facteurs.
"Il y a le refus de prendre en compte la réalité, notamment par aveuglement idéologique mais aussi, parfois, par simple inconscience", dit le directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) au cours d'un entretien avec l'AFP, chez lui près de Paris.
Aveugles, les Allemands se réjouissant à Berlin le 11 novembre 1918 car ils croient avoir gagné la guerre. Aveugles, les Français qui accueillent comme un héros Daladier au retour de Munich en 1938 car ils croient que la paix a été sauvegardée.
Que ce soit la Première Guerre mondiale que tout un chacun imaginait courte, la crise économique de 1929 que personne n'avait prévue, la chute du Mur de Berlin et la fin de l'Union soviétique considérées comme impensables ou encore, plus récemment, l'émergence soudaine du fondamentalisme islamique radical, "aucun de ces événements n'avait été anticipé", soutient Marc Ferro.
Mais l'historien, codirecteur des Annales, ne se contente pas de ressasser le passé même s'il sert à éclairer le présent.
Il n'hésite pas à prendre position pour "ne pas se tromper d'ennemi" dénonçant au passage les institutions européennes et financières internationales en train d'étouffer le droit des nations à la souveraineté.
"On continue à ne pas prendre la mesure de ce qu'on appelle le danger jihadiste", estime ainsi l'historien. "Il y a une sorte de déni sur l'importance de l'enjeu", insiste-t-il.
"Au fait, quel est aujourd'hui en France l'ennemi principal? Celui qui tue nos soldats en Afrique ou attire nos jeunes dans les rangs d'un jihad global?", se demande l'historien dans son essai.
- "On connaît la suite" -
"Peut-être que depuis un mois ou deux, on se trompe moins d'ennemi" mais pourtant, regrette-t-il, pour "ceux qui font l'opinion", "notre ennemi c'est Vladimir Poutine".
"Personnellement, je n'ai aucune sympathie particulière pour Poutine, je vois très bien son parcours et sa tentation autoritaire", souligne Marc Ferro, considéré comme un grand spécialiste de la Russie.
Mais "cette UE si vive à sanctionner Moscou, on s'interroge sur l'aide qu'elle apporte à la France là où celle-ci la protège avec son sang et son argent", dit-il en faisant référence aux sanctions décidées par l'Union européenne contre Moscou après l'annexion de la Crimée et le soutien timide des Européens aux opérations de l'armée française notamment dans la zone sahélo-saharienne.
"N'y a-t-il pas en France sur ce problème, une grande part d'aveuglement?", demande-t-il. "La Russie est peut-être l'ennemie pour les pays de l'Est (de l'UE) mais elle ne l'est pas forcément pour la France", affirme-t-il.
L'historien ne manie pas non plus la langue de bois quand il est question de défendre la "souveraineté", terme "ringardisé et tabou".
L'historien, ancien résistant du Vercors, ne supporte pas l'évolution de l'UE.
"Sous le couvert de progrès économiques, plus ou moins hypothétiques, un certain nombre de pays se retrouvent +ficelés+, de moins en moins libres de leurs mouvements, chapeautés désormais par un pouvoir exercé par la +troïka+ (BCE, FMI et Commission européenne) qui se substitue à la souveraineté +honnie+ des Etats membres, pourtant Etats-nations indépendants", explique-t-il.
La Grèce, contrainte d'abandonner "des bribes de souveraineté" se retrouve dans "la situation de ces sociétés que, naguère, les puissances colonisaient +pour leur bien+", déplore l'historien qui prévient: "On connaît la suite".
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