"Un petit mot rapide debout devant la gare, en attendant de partir". Cette lettre est adressée par Claude Lévi-Strauss à ses parents. Il a 22 ans, son agrégation de philo en poche et rejoint la caserne du 158e régiment d'infanterie à Strasbourg.
Cette missive, signée simplement Claude, marque le début d'une longue correspondance entre celui qui allait devenir le fondateur de l'anthropologie structurale et ses parents "qui ne vivaient qu'à travers lui".
"Claude Lévi-Strauss écrivit de nombreuses lettres à ses parents dont il était l'enfant unique", se rappelle Monique Lévi-Strauss, son épouse, qui en a rassemblé 217, rédigées entre 1931 et 1942 par le jeune Claude Lévi-Strauss à destination de son père et de sa mère, installés à Paris.
Cette correspondance est rassemblée dans un épais volume intitulé "Chers tous deux" (Seuil) qui paraît jeudi. Parallèlement, les éditions Flammarion publie une "grande biographie" de l'auteur de "Tristes tropiques", signée Emmanuelle Loyer.
La correspondance entre Claude Lévi-Strauss et ses parents permet de saisir au plus près l'intimité d'un des plus grands intellectuels français du XXe siècle. Affecté à la caserne Stirn à Strasbourg, le jeune homme raconte son quotidien, au rythme d'une lettre tous les deux jours. La vie à la caserne est d'une triste banalité: coudre les boutons de sa vareuse, nettoyer son fusil, marcher au soleil ou "dans la boue".
Jeune socialiste - il a été secrétaire général de la Fédération des étudiants socialistes -, il raconte sa "joie" de lire les articles de Léon Blum dans le Populaire, le journal de la SFIO, ou le Canard enchaîné. Il donne en détail ses menus. On sait, depuis la publication de ses travaux, l'importance de la sexualité et de la nourriture comme "forme d'activité humaine véritablement universelle".
- 'Mes intestins vont bien' -
Le jeune Levi-Strauss décrit à ses parents pratiquement tout ce qu'il mange. "Mes intestins vont bien, mon estomac aussi. Je pratique en sus de la charcuterie, la crème de Munster", écrit-il dans une lettre de novembre 1931. A la lecture de ces lettres, la vision d'un Lévi-Strauss purement cérébral se dissout complètement.
Pendant l'été 1932, il finit son service militaire au ministère de la guerre à Paris. Il continue d'écrire à ses parents. Il détaille encore et toujours ses menus (plutôt copieux!) et leur annonce son mariage avec Dina Dreyfus, la femme, ethnologue de formation, qui l'initiera et le convertira à l'ethnologie.
Les lettres se poursuivent depuis Mont-de-Marsan où il va occuper son premier poste d'enseignant dans un lycée de la préfecture des Landes. C'est un professeur engagé, militant socialiste. Il tente de se faire élire au Conseil général des Landes.
S'il parle encore abondamment de nourriture, on découvre aussi ses goûts littéraires. Dans une lettre de novembre ou décembre 1932, il raconte ainsi: "J'ai terminé +Voyage au bout de la nuit+. C'est long mais c'est extraordinaire".
En 1935, c'est le départ pour le Brésil où va naître sa vocation d'ethnologue. De ce voyage, ne nous est livrée qu'une lettre, envoyée lors d'une escale à Valence en Espagne.
Le livre s'achève par "les lettres d'Amérique", écrites entre 1941 et 1942 après le départ en exil de Claude Lévi-Strauss en raison des lois raciales du régime de Vichy.
De son vivant, l'ethnologue avait lui-même annoté cette correspondance américaine. Dans un avant-propos, rédigé en 2002 et resté inédit jusqu'à présent, il écrit: "A les relire aujourd'hui, je mesure les ravages exercés par le temps. Certains souvenirs surnagent, d'autres ont sombré dans l'oubli, et certains passages me sont même devenus incompréhensibles".
Des lettres de New York, on retiendra sa vie de bohème après sa séparation d'avec Dina. Et son inquiétude concernant la situation en France, notamment celle de ses parents.
"Ai-je raison d'éditer cette correspondance?", se demande Monique Lévi-Strauss dans sa préface. Oui, répond-elle en expliquant que ces lettres "forment une sorte de journal et un journal n'est rien d'autre qu'un autoportrait".
"En le rendant public, je voulais faire connaître l'homme qui se cachait derrière le savant", se justifie-t-elle.
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