Sur la piste de danse, des femmes en robes moulantes chaloupent des hanches sous les regards envoûtés d'hommes de whisky imbibés. Les baffles vibrent, les c?urs aussi, et derrière ces portes closes Karachi revit.
Ici, une jeune femme au dos hâlé et tatoué magnétise la piste, éclairée de jets de lumière stroboscopique; là, des hommes fortunés en complet-cravate grillent cigarette sur cigarette en remuant sur l'électro-funk de Daft Punk.
Il est minuit à Karachi, la musique est bonne, la fête commence et se poursuivra jusqu'au bout de la nuit, à grand renfort de vodka, coca et whisky. Dans une salle des quartiers chics décorée de chandeliers, ils sont quelques centaines réunis dans leurs plus beaux habits pour célébrer la vie. En fait, leur vie. Celle d'une génération qui a grandi au bled, étudié ou voyagé à l'étranger, s'est éprise de liberté et tente au retour de se fondre dans ce Pakistan chéri.
La fête n'est annoncée nulle part et se tient à l'abri des regards. Au Pakistan, on adore bambocher mais on ne le dit pas trop, de peur d'éveiller l'attention des mauvais esprits, voire d'attirer kamikazes et lance-roquettes voués à barrer la route à ces randonneurs de la nuit.
Pourtant le pays compte une longue tradition de clubs et discothèques, étrangement peu connue de la jeune génération née dans le sillon des années du jihad afghan et de l'islamisation rampante qui s'est immiscée dans les recoins de la psyché.
Des années 50 à la prohibition en 1977, Karachi ne dormait pas la nuit, ou si peu. L'alcool coulait à flot dans les bars du centre-ville. Les jazzmen américains Dizzie Gillespie et Duke Ellington y ont même aimanté les foules et les filles.
Playboy, Excelsior, Oasis, Samar, Club 007 les "boîtes à gogo" et discothèques rivalisaient pour s'arroger le monopole de la nuit. "La vie nocturne était formidable avec les orchestres, l'alcool et la danse", se remémore, nostalgique, Imtiaz Moghal, gérant de l'hôtel Metropole, jadis un haut-lieu des fêtards.
Aujourd'hui, Imtiaz rase les murs décatis de cet édifice d'après-guerre en partie détruit, au charme suranné. "C'est devenu une maison hantée", soupire ce sexagénaire à la moustache élégante. "Le parking, c'était un club et une discothèque Cela fait mal de penser à ça".
- La faute à Bhutto -
Dans les clubs de Karachi s'enfiévraient autrefois hommes politiques, jeunes éméchés, danseuses du ventre, diplomates étrangers, orchestres venus des Philippines, de Singapour ou des quartiers chrétiens
"Nous commencions par réchauffer la salle, pour enchaîner avec des morceaux plus populaires, puis plus forts, avec plus de percussions. Les gens hurlaient, criaient, puis nous terminions avec des morceaux plus doux pour accompagner les projets romantiques de fin de soirée", se remémore Leon Menezes.
De 1970 à 1975, avec ses cheveux longs, ses grosses lunettes et son air décontracté, Leon et son groupe "The In Crowd", l'un des plus populaires de Karachi à l'époque, écumaient les clubs aux côtés des "Black Jacks", "Talismans", "Bugs" et autres avatars des Beatles.
Leon a même joué à l'assermentation en 1972 du président Zulfikar Ali Bhutto, père de Benazir Bhutto, client dans sa jeunesse des boîtes de nuit.
"Nous étions chez lui pour installer nos instruments, M. Bhutto marchait dans la véranda, il était grand et perdu dans ses pensées, moi j'avais un ampli et une guitare à la main Je lui ai demandé: +est-ce que les gens vont danser ce soir?+ Il m'a répondu: +je ne sais pas, mais s'il-vous-plaît, il ne faut pas se cacher", raconte Leon Menezes, aujourd'hui professeur dans une école de commerce de Karachi.
Cinq ans plus tard, le libéral Bhutto cédait à la pression des islamistes en bannissant l'alcool, jusque-là légal au Pakistan, avant d'être renversé et pendu par la junte militaro-islamiste de Zia ul-Haq.
"La prohibition a complètement changé le monde des hôtels" qui hébergeaient clubs et discothèques, note Happy Minwalla, propriétaire du Métropole. "Karachi était avant tout une ville de plaisir et de divertissement", dit-il.
- Les souterrains de velours -
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