A la fin des années 1970, une spectaculaire mobilisation conduit la France, et d'autres pays occidentaux, à accueillir des dizaines de milliers de boat-people, fuyant dans des conditions dramatiques les régimes communistes vietnamien mais aussi cambodgien et laotien.
Les images de leur errance en mer de Chine méridionale, largement médiatisées, frappent les esprits. Elles ressemblent à celles prises ces mois derniers en Méditerranée : regards hallucinés, corps épuisés, entassés dans des embarcations de fortune.
Pourtant, les contextes sont différents. La France d'alors, où le chômage était bas, était sans aucun doute plus accueillante, d'autant que nombre de Vietnamiens et Cambodgiens étaient francophones et venaient de l'ancienne Indochine française.
En outre, la mobilisation des intellectuels, de gauche comme de droite, de Jean-Paul Sartre à Raymond Aron, fut spectaculaire.
Fin 78, l'odyssée d'un bateau de boat-people, le "Haï Hong", errant de port en port, va particulièrement émouvoir l'opinion. Les journalistes filment le calvaire des 2.500 personnes à bord, dont beaucoup d'enfants. Finalement, des pays d'Europe décideront de les recevoir.
Bouleversés par ce bateau ivre et la tragédie de ceux que l'on commence à appeler les "boat-people", diverses personnalités - autour du docteur Bernard Kouchner et du philosophe André Glucksmann - décident de lancer en 1979 l'opération "Un bateau pour le Vietnam".
Il s'agit de recueillir des dons pour transformer une coque de noix, "L'île de lumière", en navire-hôpital, de l'ancrer devant Pulau Bidong (Malaisie) pour alléger le sort de 34.000 personnes agglutinées sur l'îlot puis de l'expédier en missions en mer de Chine.
Sur TF1, le présentateur Roger Gicquel lance : "ce n'est pas seulement généreux (de soutenir l'opération). C'est indispensable". Le jeune Kouchner plaide sa cause face au journaliste d'Antenne 2, Jacques Abouchar, depuis le pont de "L'île de lumière". La médiatisation voulue par le « French doctor » fait débat, y compris chez ses proches. "Deux lignes s'affrontent : l'humanitaire silencieux contre le secours cathodique", résume le Nouvel Observateur.
- une célèbre poignée de main -
Le Comité "Un bateau pour le Vietnam" se met en place, soutenu par des personnalités emblématiques: le philosophe Michel Foucault, le rabbin Josy Eisenberg, le cardinal François Marty ou l'écrivain allemand Heinrich Boll ainsi que le chanteur et acteur Yves Montand.
Michel Rocard, socialiste hostile à la doctrine communiste, signe la pétition mais pas le premier secrétaire du PS, François Mitterrand. Une partie de la gauche renâcle car beaucoup des siens croient encore que le communisme est un modèle à suivre.
Les soutiens vont de Jean-Paul Sartre, le marxiste, à Raymond Aron, le grand intellectuel libéral, brouillés depuis 30 ans. Le 20 juin 1979, le président Valéry Giscard d'Estaing réunit à l'Elysée, autour d'autres personnalités, ces deux monstres sacrés qui, pour la photo, se serrent sobrement la main. C'est une image forte car elle montre une France assez largement réunie, au moins sur ce sujet.
A l'occasion, Sartre se fait humaniste, et bien peu révolutionnaire, en prononçant les mêmes mots qu'il reprochait à Albert Camus, 25 ans avant : "Je soutiens des hommes qui, sans doute, n'étaient pas ceux de mes amis, au temps où le Vietnam se battait pour la liberté, mais ça n'a aucune importance parce que ce sont des hommes en danger de mort".
Dans le sillage d'Aron, la droite française est à l'aise sur ce dossier. Ainsi, le maire de Paris, Jacques Chirac, lance un appel pour accueillir des boat-people, lui-même recueillant une petite vietnamienne qu'il élèvera comme sa fille.
Cinq ans plus tard, en 1984, un groupe de rock français, Gold, sort un album où figure la chanson "Plus près des étoiles", en hommage aux boat-people. Un grand succès vendu à 900.000 exemplaires.
Entre 1975 et le début des années 80, plus de 120.000 Vietnamiens ont été accueillis en France au titre officiel de "réfugiés", selon des experts. La professeure Karine Meslin parlait en 2006 de "128.531 ressortissants de l'ancienne Indochine, dont 47.356 Cambodgiens, entrés légalement sur le territoire français". Beaucoup sont par ailleurs entrés sans le statut de réfugié.
Entre 1975 et 1985, plus d'un million de Vietnamiens - dont 800.000 boat-people - avaient pris le chemin de l'exode. Un quart aurait péri, selon les chercheurs.
ccd/pj
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