La justice civile est amenée jeudi pour la première fois à étudier la responsabilité des laboratoires Servier au regard de la "défectuosité" du Mediator, médicament coupe-faim synonyme d'un des plus grands scandales sanitaires français.
La 2e chambre du tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre (Hauts-de-Seine) examine deux demandes d'indemnisation. Dans l'une, une patiente de 67 ans réclame 125.000 euros à Servier; dans l'autre, un homme de 72 ans demande 900.000 euros en réparation de son préjudice, "un c?ur très abîmé" qui porte les séquelles d'une valvulopathie, selon son avocat Me Charles Joseph-Oudin.
Utilisé par cinq millions de personnes, le Mediator, retiré du marché français en novembre 2009, est à l'origine de graves lésions des valves cardiaques et pourrait être responsable à long terme de 2.100 décès, selon une expertise judiciaire.
Mais, sept ans après le début du combat d'Irène Frachon, pneumologue à Brest, qui va inspirer prochainement un film, "aucune juridiction ne s'est encore prononcée sur la question de savoir si Servier était responsable ou pas", regrette Me Joseph-Oudin.
Jusqu'ici, aucune victime présumée du Mediator n'a été indemnisée de manière définitive par la voie de la justice. Les juges des référés (juges de l'urgence), saisis de demandes d'expertise par des victimes, ont déjà accordé des provisions sur indemnisation dans une vingtaine de dossiers, dans l'attente d'un procès civil au fond.
Défectuosité du produit, réalité de la pathologie et lien de causalité: c'est la triple question qui arrive jeudi entre les mains du TGI de Nanterre lors de ce procès qui pourrait faire jurisprudence. Le premier d'une longue série: environ 60 dossiers sont ou doivent être audiencés devant les juges du fond à Nanterre, sans compter les audiences pendantes en province.
Devant les juges de Nanterre, rodés aux questions de santé publique, deux thèses vont s'affronter sur les connaissances du risque du Mediator quand il a été prescrit aux demandeurs.
- 'Guérilla judiciaire' -
Dans leur arsenal de défense, Mes Martine Verdier et Joseph-Oudin, deux avocats en pointe dans la défense des victimes du Mediator, s'appuient sur des décisions de la cour d'appel de Versailles d'avril, qui caractérisent la "défectuosité" du produit. "Nous disons que dès 1999, les informations sur sa toxicité étaient disponibles, que la balance bénéfice-risques devenait défavorable et que ce produit aurait dû être retiré à cette date", comme l'a indiqué un rapport accablant de l'Inspection générale des affaires sociales de janvier 2011, résume Me Joseph-Oudin.
Me Verdier enfonce le clou: Servier "savait dès 1993". "Dès son étude interne, Servier savait que le benfluorex (principe actif du Mediator) contenait de la norfenfluramine, qui déclenche les effets indésirables."
De leur côté, les laboratoires Servier vont demander l'exonération de leur responsabilité: "Jusqu'à fin 2008-2009, il n'y avait pas eu de signal d'alerte en pharmacovigilance. Au moment où le produit est prescrit aux plaignants, les connaissances scientifiques sur les effets indésirables n'étaient pas suffisantes, tant du point de vue des autorités sanitaires que de la littérature médicale", souligne Me Nathalie Carrère.
Le Mediator a été prescrit pendant plus de 30 ans, d'abord contre l'excès de graisses dans le sang, puis comme traitement adjuvant pour les diabétiques en surpoids.
Le scandale sanitaire du Mediator est au c?ur de plusieurs procédures judiciaires civiles, pénales et administratives. Au pénal, il fait l'objet de deux procédures distinctes, à Paris et à Nanterre, pour lesquelles aucun procès n'est encore prévu, au grand dam des victimes, qui dénoncent aussi la lenteur des recours au civil.
En cause: la lourdeur des expertises, des moyens judiciaires insuffisants, mais aussi, "une guérilla judiciaire" de Servier pour retarder les procédures et les indemnisations, dénonçaient fin août 30 personnalités du monde médical dans un manifeste.
"C'est un mauvais procès", balaie Me Carrère. "Depuis le premier jour, la position a été de dire que Servier indemniserait."
Selon un dernier bilan, sur 8.800 demandes d'indemnisations de patients, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) a bouclé l'examen de 5.701 dossiers et la responsabilité de Servier a été mise en cause pour 1.942 d'entre eux. Jusqu'à présent le laboratoire a proposé 1.282 offres d'indemnisation.
Le TGI de Nanterre mettra sa décision en délibéré.
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