Paul François, céréalier charentais gravement intoxiqué en 2004 par le Lasso, un herbicide commercialisé par Monsanto, sera peut-être le premier en France à faire condamner le géant agrochimique américain. Mais il refuse de passer pour une icône écologiste ou altermondialiste.
"C'est un combat qui me dépasse mais ça reste mon combat! Les coups, c'est moi qui les ai pris. Je suis avant tout agriculteur", martèle cet homme de 51 ans, sans éclat de voix mais avec une moue qui révèle la ténacité et la détermination du paysan traçant son sillon.
Jeudi, la cour d'appel de Lyon se prononcera sur le pourvoi de Monsanto, reconnu "responsable" en première instance en 2012 de l'intoxication de Paul François et condamné à "indemniser entièrement" l'agriculteur de Bernac (Charente), partiellement handicapé et qui souffre d'importantes séquelles. Ce qui n'a pas empêché le groupe de répéter, lors de l'audience d'appel en mai, que son produit "n'était pas dangereux" et que "les dommages invoqués n'existent pas".
"Ce n'est pas du courage d'attaquer Monsanto, plutôt de la folie! Si je regarde ce qu'on a pu endurer, je suis pas sûr que je le referai", assurait Paul François lors d'un entretien avec l'AFP fin juillet.
La vie de l'agriculteur bascule le 27 avril 2004, lorsqu'il vérifie une cuve ayant contenu du Lasso -- "un herbicide pour le maïs que j'utilisais depuis au moins quinze ans" -- et qu'il inhale des vapeurs toxiques.
Pris de malaise, il a juste le temps d'expliquer ce qui vient de se produire à son épouse avant de finir aux urgences, crachant du sang: "tout ce qui est arrivé après, je ne m'en souviens pas". Après cinq semaines d'arrêt, il reprend son travail mais souffre d'importants problèmes d'élocution, d'absences, de maux de tête violents. Fin novembre, il s'effondre sur le carrelage de sa maison, où ses filles le découvriront inconscient.
S'ensuit une longue période d'hospitalisation durant laquelle les médecins craindront plus d'une fois pour sa vie, sans jamais faire le lien avec l'herbicide de Monsanto. "D'examen en examen, de coma en coma, on a fini par trouver une importante défaillance au niveau cérébral. Là, ma famille a commencé à faire son enquête sur le Lasso", à ses frais, explique l'agriculteur.
- 'Le médicament des plantes' -
Il faudra attendre mai 2005 pour identifier le coupable: le monochlorobenzène, solvant répertorié comme hautement toxique et entrant à 50% dans la composition de l'herbicide.
L'intervention du Pr André Picot, toxicologue de renom, aura probablement été déterminante. Appelé alors au chevet du président ukrainien Viktor Iouchtchenko, empoisonné à la dioxine, il découvre l'existence d'un traitement expérimental à base d'algues, qui permet de capter la molécule toxique dans l'organisme. De retour en France, le Pr Picot le propose à Paul François: "Est-ce que c'est ça qui m'a soigné ou juste l'aboutissement d'un processus naturel? On ne saura jamais"
A peine remis, la lutte contre la maladie cède la place au combat juridique. D'abord, pour faire reconnaître sa rechute comme maladie professionnelle, officialisée en 2010. Puis contre la firme Monsanto, dont il est convaincu qu'elle connaissait les dangers du Lasso bien avant son interdiction en France, en novembre 2007.
L'herbicide avait en effet été jugé dangereux et retiré du marché au Canada dès 1985 et depuis 1992 en Belgique et au Royaume-Uni.
"Monsanto était au courant, pourquoi ils n'ont pas alerté les utilisateurs? Le produit, je l'ai utilisé aux doses prescrites et avec les précautions mentionnées sur l'étiquette. Ils se sont foutus de ma gueule!", s'agace Paul François.
L'agriculteur assume être issu d'une "génération tout pesticides", qui permettaient d'augmenter les rendements et de rendre le travail de la terre moins pénible. "Mais jamais on ne s'était inquiété de la toxicité des produits. Pour nous, c'était le médicament des plantes!".
Aujourd'hui il a considérablement réduit son utilisation de produits phytosanitaires, "pour remettre du vivant dans le sol". Et il est en train de convertir une centaine d'hectares en agriculture bio.
"Pour moi, il n'est plus concevable qu'une rampe de traitement passe à dix mètres d'une piscine ou d'une gardienne d'enfants!", affirme celui qui s'est vu remettre en mai la Légion d'honneur, des mains de Nicolas Hulot, et qui a fondé Phyto-Victimes, une association d'aide aux victimes des pesticides.
Il ne défend pas pour autant le 100% bio: "Il y a la place pour une agriculture alternative, de bon sens, qui appartient à ses agriculteurs et ne produit pas à n'importe quel prix. On veut en vivre, et surtout pas en crever"
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