Après l'image du corps sans vie du petit Aylan, beaucoup tentent de se mobiliser à la hâte pour accueillir des réfugiés. Eux, cela fait six mois qu'ils se sont unis pour pouvoir sauver une famille chrétienne d'Irak. Et samedi soir, les Mikho sont enfin arrivés dans l'Ain.
Il est presque 20H00 à la gare de Bellegarde-sur-Valserine (Ain), ils descendent du train dans leurs habits flambant neufs, une valise chacun. Le sourire jusqu'aux oreilles. "Quand on a fui Daech à Qaraqosh (la plus grande ville chrétienne d'Irak prise à l'été 2014 par le groupe Etat islamique, ndlr), on est partis en voiture et on a tout laissé derrière nous. Notre commerce, nos affaires. On a dû au moins se racheter des vêtements", raconte Rosa, la grand-mère.
Sur le quai, des cousins arrivés à Grenoble il y a moins d'un an et leurs anges gardiens se pressent pour les aider.
"Lors d'une réunion de prière avec toute la communauté chrétienne de Bellegarde (catholiques, protestants évangéliques mennonites et adventistes) en janvier, on réfléchissait à ce qu'on pouvait faire concrètement pour les chrétiens d'Irak. Puis Marie-Noëlle m'a tapé sur l'épaule et m'a dit: +Moi j'ai un 95m2 non louable en l'état que je peux mettre à disposition+. Le Premier ministre avait bien dit que si l'on assurait les conditions d'accueil d'une famille, il s'engagerait à leur délivrer le statut de réfugié politique", raconte Daniel Goldschmidt, représentant du collectif d'accueil de cette commune du Jura, à 40 km de Genève.
"On contacte alors l'association d'entraide aux minorités d'Orient (AEMO) et le consulat français d'Erbil (capitale du Kurdistan irakien, ndlr). Ils nous répondent qu'ils ont justement une famille de sept personnes difficile à caser", poursuit-il. Depuis plus d'un an, les Mikho erraient entre Erbil et la Turquie. Ils ont dormi dans des jardins, des églises. A la fin, ils avaient déniché un toit: une pièce pour sept.
- "D'autres familles d'accueil" -
Une chaîne de solidarité s'organise alors autour de Marie-Noëlle et son mari Sylvain pour remettre en état l'appartement. Des artisans consentent à de petits devis pour le sol, les peintures, l'électricité.
Pour les meubles, une collègue donne une gazinière, le maire de Champfromier -une commune voisine- des lits, l'adjoint au maire un canapé et une fromagerie une table et des chaises. Ils trouvent à droite à gauche des draps, de la vaisselle et même trois cartables pour les garçons, de 9 à 13 ans, qui iront à l'école dès lundi.
Face à tant de mobilisation, le père, Faris, a dû mettre cent fois la main sur son coeur samedi soir. Il répond invariablement à toute les questions: "Aucun souci". "Aucun souci" de débarquer dans un décor de chalet suisse, "aucun souci" pour les enfants parachutés à l'école alors qu'ils savent juste dire "merci". "Aucun souci" pour l'avenir: "Je veux monter un supermarché, comme là-bas".
Mais sa mère l'interrompt à chaque fin de phrase. Car non, ce n'est pas si simple. Il y a des soucis, une grosse inquiétude même: "J'ai laissé derrière moi ma fille aînée, son mari et ses trois enfants".
"Déchirée", elle espère qu'ils pourront les rejoindre. "Dites-le: il faut d'autres familles d'accueil pour des familles irakiennes". Fabian, 9 ans, montre alors la photo d'identité qu'il porte accrochée autour du cou. "C'est son copain, Milat, tué par Daech", explique sa mère Huda.
Avant de se jeter sur le buffet dans une salle paroissiale, la famille Mikho dit le bénédicité en araméen. "Ici personne n'empêche les gens d'aller à l'église mais peu de gens y vont", ironise le père Roger, curé de Bellegarde.
Une petite procession s'organise ensuite pour conduire enfin la famille Mikho dans ses nouveaux quartiers. Le bruit des valises anime sous les réverbères les rues désertes de la ville. Ils ouvrent la porte. Cinq pièces en enfilade, vue sur l'église qui fait face à l'immeuble.
Les enfants, eux, se précipitent sur la télévision et parlent déjà de leurs futures parties de jeux vidéo.
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