Avec son passage au professionnalisme, il y a 20 ans, le rugby est entré dans une nouvelle ère et l'argent, longtemps tabou mais toujours présent, circule désormais à l'air libre, gonflant budgets des clubs et salaires des joueurs mais menaçant au passage les historiques valeurs de l'ovale.
En 1998, un des 700 joueurs du championnat de France touchait en moyenne à peine plus que le Smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance) de l'époque, soit 6.000 francs (environ 1.100 euros compte tenu de l'inflation). Avec 12.000 euros nets par mois en 2014-15, le voilà davantage à l'aise.
Au niveau mondial, même boom démentiel. En 1995, la Coupe du monde avait rapporté 30,3 millions de livres de revenus (43 M EUR). Ce sont 650 millions de livres (883 M EUR) qui sont attendus en 2015 de la compétition en Angleterre. 127 millions d'euros viendront des droits télé, soit six fois plus qu'en 1995!
"S'il y a 20 ans on m'avait décrit les sommes générées actuellement par le rugby, j'aurais simplement dit: c'est impossible", résume en souriant Paul Goze, le patron de la Ligue nationale de rugby, l'institution à la tête du championnat devenu le plus lucratif du monde et confortablement assise sur 136 millions d'euros de budget annuel.
En 1993, quand il passe une première fois la main, après quatre années de présidence à Perpignan, M. Goze laisse un club bien loti, avec 4 millions de francs de budget (environ 840.000 euros actuels).
- Sur et plus sous la table -
Le Stade Toulousain va bien lui aussi: "A l'époque, on avait 5 millions de francs de budget et un salarié", se souvient le président René Bouscatel. "Aujourd'hui, le Stade Toulousain c'est 37 millions d'euros de chiffre d'affaires et 120 salariés", glisse-t-il à l'AFP.
En 20 ans, depuis ce 26 août 1995 et le basculement officiel dans l'ère "open", le rugby a pris une tout autre dimension financière. "Les clubs ont su se rendre attractifs, en développant les partenariats, en s'appuyant sur des réseaux d'entreprises", détaille Paul Goze. "Surtout, on a été bien accompagnés par notre diffuseur, Canal+, qui a su moderniser l'image du rugby en l'adossant à sa propre image de chaîne jeune et dans le coup", ajoute-t-il.
La création d'une poule unique à 16 clubs en 2003 (NDLR: 14 aujourd'hui) a dans la foulée "offert une meilleure visibilité" à ce sport en France, selon M. Bouscatel. "Cela a tout entraîné dans son sillage, les droits télés ont augmenté, les spectateurs sont venus en masse au stade, les partenariats se sont développés", poursuit-il.
"Et la marche en avant s'est encore accéléré depuis cinq ans avec l'arrivée à la tête des clubs de présidents entrepreneurs" comme Mourad Boudjellal (Toulon) ou Jacky Lorenzetti (Racing 92), renchérit Paul Goze.
Preuve en est, l'inflation spectaculaire des droits de diffusion: en 1998-1999, Canal+ déboursait environ 12 millions d'euros pour une saison de Top 14. Désormais, c'est 74 millions!
Logiquement, les salaires des joueurs ont suivi. "Maintenant, nous allons toucher sur la table l'argent que nous touchions sous la table", se réjouissait en 1995 le capitaine du XV de France Philippe Saint-André.
- Esprit, es-tu là ? -
Cette année-là, un international français ayant participé à la Coupe du monde en Afrique du Sud avait perçu en moyenne 250.000 francs (soit un équivalent de 50.000 euros actuels) de la Fédération. Deux décennies plus tard, les partenaires de Thierry Dusautoir pourront espérer quatre à cinq fois plus, selon leur parcours en Angleterre.
Une question reste toutefois au coeur des débats: l'argent, désormais élément central, pervertit-il le rugby, dont le succès est justement fondé sur ses valeurs de solidarité et d'authenticité?
"C'est sûr que la pression du résultat et les enjeux plus importants ont changé la façon de se comporter des uns et des autres, mais fondamentalement, l'esprit du rugby est resté le même", promet Paul Goze.
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