Base militaire la plus secrète de l'Albanie communiste et "sentinelle" aux portes de l'Adriatique, l'île de Sazan vient d'ouvrir aux visiteurs ses bunkers et ses tunnels antiatomiques, au milieu d'une nature sauvage dont les autorités souhaitent faire une attraction touristique.
"Nous ne pensions qu'à la guerre, 24 heures sur 24. La pression psychologique était énorme", se souvient Mihal Lule, 61 ans, un ancien soldat qui a vécu avec sa famille pendant dix-sept ans sur cette petite île montagneuse, à l'époque de la dictature communiste (1945-90).
Sazan est située à l'entrée de la baie de Vlora, dans le sud-ouest de l'Albanie, et aussi à un point stratégique du canal d'Otrante, qui sépare les mers Adriatique et Ionienne.
Minuscule, s'étendant sur une dizaine de kilomètres carrés seulement, elle a pourtant été convoitée au cours des siècles par les armées romaine, ottomane, grecque, italienne, ou encore allemande.
A la fin de la Deuxième guerre mondiale, l'île passe sous le contrôle du pouvoir communiste albanais d'Enver Hoxha qui, dans les années 1950, ouvre ses accès aux alliés soviétiques désireux de surveiller de là toute la Méditerranée.
"D'ici, je pourrais contrôler la Méditerranée jusqu'à Gibraltar", avait déclaré en 1958 le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, à l'occasion d'une visite dans la base de sous-marins de Pashaliman, également dans la baie de Vlora, où il comptait installer des missiles de longue portée et des navires de guerre.
Trois ans plus tard, la rupture avec Moscou mettait fin à ce projet au profit d'une nouvelle alliance, avec la Chine, qui allait durer une dizaine d'année.
"La vie sur l'île était plus joyeuse avec les Russes et leur vodka. Les Chinois étaient austères, mais après leur départ la solitude était étouffante sous la férule du régime communiste", raconte Mihal Lule.
Dans les décombres de son ancien appartement, il retrouve un livret reçu avec une décoration militaire. Sa couverture bleue est frappée d'un aigle bicéphale et de l'étoile rouge, constituant l'emblème de l'ancienne République populaire socialiste d'Albanie.
- L'île truffée de plus de 3.600 bunkers -
Sazan est truffée de plus de 3.600 bunkers, de kilomètres de tunnels et d'installations souterraines, notamment d'une salle de cinéma, d'une école et d'un hôpital.
Vivant dans la crainte d'une agression extérieure qui n'a jamais eu lieu, Enver Hoxha avait fait construire plus de 700.000 bunkers dans ce pays balkanique.
Un autre visiteur, Astrit Aliaj, 70 ans, est revenu sur Sazan en compagnie sa fille pour lui montrer ce lieu où il avait passé une partie de sa vie aux côtés de quelque 2.000 militaires.
"Les agresseurs désignés étaient le bloc soviétique, ainsi que l'impérialisme américain et ses alliés", lui explique-t-il.
L'Albanie a adhéré en 2009 à l'Otan, qu'elle avait tant redouté pendant des années.
Une cité fortifiée sur l'île a échappé aux guerres, mais elle a été saccagée au moment d'une rébellion armée contre le pouvoir en 1997 par des dizaines de personnes qui y ont pillé des dépôts militaires.
Au cours de récentes manoeuvres communes, les forces de l'Otan et albanaises avaient fait de Sazan un polygone de tir et réduit en ruines plusieurs édifices et une villa construite pour le dictateur italien Benito Mussolini dans les années 1930, pendant l'occupation italienne.
Aujourd'hui, cet îlot à la végétation exubérante considéré comme l'une des zones les plus magnifiques d'Albanie, est dans un état déplorable.
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