Les bulldozers sont arrivés à l'aube pour repartir quelques heures plus tard sur un champ de masures en ruine. Au Pakistan, les autorités ont rasé cette semaine le "ghetto afghan" de la capitale Islamabad poussant des milliers de va-nu-pieds dans l'errance au nom de la "loi et l'ordre".
Etrange simultanéité de l'information. Au moment où les chaînes crépitaient sur la mort du taliban mollah Omar et de Malik Ishaq, chef du Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), un groupe islamiste armé à l'origine d'une cascade d'attaques sectaires, Islamabad envoyait ses bulldozers ravager le plus connu des bidonvilles de la capitale pakistanaise. Et arrêtait des résidents et activistes défiant ces titans d'acier.
Depuis une trentaine d'années, réfugiés afghans et journaliers du nord-ouest du Pakistan s'entassent à "Afghan Basti", un entrelacs crasseux de maisons bricolées en briques de boue, illuminé par les regards de petits gavroches et planté juste devant une grande surface à la sortie de la capitale.
Mais aujourd'hui, les habitants marchent sur les ruines de leur bidonville comme Ashrak Khan, désemparé, après le passage des bulldozers rugissants.
"Je ne sais pas quoi faire, où aller", souffle le vendeur de fruits qui a fui Swabi, dans le nord-pakistanais au milieu des années 80 pour s'installer dans ce "katchi abadi", ces quartiers informels, illégaux, où vivent des millions de gagne-petit au Pakistan.
Sans eau courante, égouts, ni électricité, l'empoussiéré "Afghan Basti" contraste avec les vertes collines qui entourent la capitale pakistanaise et est la dernière victime en date de la guerre qu'y mènent les autorités contre ce qu'elles qualifient de refuge de brigands et d'islamistes afghans.
Les terres du ghetto ont été attribuées il y a des lustres à des promoteurs, explique Ramzan Sajid, porte-parole de l'Autorité de développement de la capitale (CDA), sorte de mairie non élue d'Islamabad.
"La Haute cour d'Islamabad nous a donné l'ordre de détruire tous ces bidonvilles illégaux (), il n'y a pas d'alternative, pas de compensation, ces gens n'ont aucun droit de vivre là", assène-t-il. Pourtant, les provinces pakistanaises disposent de lois pour la régularisation des "katchi abadis", qui prévoient une relocalisation ou une compensation en cas de destruction.
- Crise du logement -
Si la destruction des ghettos a la cote parmi les bureaucrates et l'élite locale, elles témoignent avant tout d'une crise du logement dans un pays de près de 200 millions d'habitants où la terre demeure une inébranlable valeur refuge convoitée.
"La terre est le nouvel or", tranche Arif Hasan, un des urbanistes les plus connus du pays. Au Pakistan, environ 30% des habitants des grandes villes vivent dans ces "katchi abadis", chiffre-t-il.
"C'est malheureux, vous ne pouvez pas avoir une ville comme Islamabad sans offrir à la population de vrais logements à faible prix C'est au mieux irresponsable, au pire criminel", juge-t-il.
Engagé dans la défense des habitants de ces quartiers illégaux, l'universitaire Aasim Sajjad Akhtar ne décolère pas contre les autorités qu'il accuse de cibler plus particulièrement les ghettos de l'ethnie pachtoune, établie à cheval sur le nord pakistanais et le sud afghan et qui ont historiquement servi de viviers aux talibans.
"Les autorités ont décidé de diaboliser et criminaliser les habitants, en les qualifiant de brigands et de terroristes et soulignent leur identité pachtoune pour créer l'impression que ces gens sont sympathiques au terrorisme", peste-t-il.
Mais les habitants de ces ghettos, où vivent aussi des milliers de chrétiens, disent n'être que des gagne-petits respectant la loi, en quête d'un logement abordable dans un pays où le salaire d'un journalier ne dépasse guère les cent dollars par mois.
"Je suis né ici, j'ai grandi ici, comment puis-je rester insensible lorsque l'on détruit ma maison sans raison?", rage sur les ruines de "Afghan Basti", Nasir Khan, qui vit de la revente de fruits et légumes dans des quartiers plus prisés de la capitale.
Leur ghetto détruit, sans ailleurs légal où s'installer, de nombreux habitants disent ne pas avoir d'autres choix que de planter leurs vies sur d'autres terrains vacants, inoccupés, qui se transformeront à terme en de nouveaux ghettos.
"Si eux détruisent nos maisons, il faut bien que nous, nous trouvions un autre endroit où vivre", se résigne, fatigué, Muhammad Abdullah, un vieil ouvrier.
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