"Travailleuses missionnaires", elles servent dans des restaurants de sanctuaires, observant une règle de vie assez éloignée du droit du travail. "Exploitation", accusent certains. "Offrande" librement consentie, répond l'organisation, tandis que les plaintes s'accumulent.
L'association Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux et à leurs familles a consacré en 2014 un "livre noir" à ces Travailleuses missionnaires (TM) de l'Immaculée qui gèrent une chaîne de restaurants, L'Eau vive, et sont présentes à Marseille, Toulon, Besançon, Lisieux (Calvados), Ars (Ain), Menton (Alpes-Maritimes) ou Domrémy-la-Pucelle (Vosges).
A son tour, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) s'est intéressée à cette main-d'oeuvre étrangère recrutée très jeune au Burkina Faso, au Cameroun, au Vietnam, aux Philippines ou encore au Pérou. Après avoir auditionné six anciennes TM, elle relève "des éléments qui caractérisent la déstabilisation mentale", pointant "la diabolisation du monde extérieur, les ruptures avec l'environnement d'origine, l'absence de soins et les atteintes à l'intégrité physique".
Cinq plaintes d'anciennes et anciens membres - les TM ont une branche masculine - ont été déposées à Caen, Paris et Versailles, selon la Miviludes, qui en prévoit au moins deux autres prochainement. Le président de la Miviludes, Serge Blisko, a défendu le 10 juillet auprès de la garde des Sceaux le regroupement des plaintes au tribunal de Caen, afin d'"augmenter les chances de (les) faire aboutir".
- "Jésus n'a pas eu de diplôme" -
La litanie des accusations est longue. Aucun salaire ni cotisation sociale versés. Pourboires confisqués. Papiers d'identité mis sous clé. Les femmes pesées chaque mois. Les courriers ouverts avant remise aux intéressées, ceux à envoyer écrits sous la dictée. Des promesses de formation en France non tenues au motif que "Jésus n'a pas eu de diplôme et n'a pas suivi d'études"
Cette phrase, une ancienne ballottée quinze ans durant d'une "maison" à l'autre l'a entendue. "On m'a aussi répondu, alors que je voulais le passer: +sainte Thérèse n'a pas eu le bac+", confie à l'AFP cette Burkinabè qui dit avoir été "complètement infantilisée".
"La prière et la messe étaient secondaires, on les sautait s'il le fallait. L'essentiel, c'était de faire la cuisine et de servir le client du matin au soir. C'était +travaille d'abord+, +la prière, c'est le travail+." A Toulon, "deux-trois filles étaient déclarées pour faire bonne figure. Quand un inspecteur du travail venait, on nous cachait".
Danièl, TM pendant cinq ans, qui espérait devenir prêtre, décrit une expérience de "soumission totale": "J'en suis ressorti psychologiquement détruit". Ce Camerounais a porté plainte en juin pour esclavagisme moderne, expression avancée également par la Miviludes. "On peut parler d'exploitation", glisse une source proche du dossier.
- "Caricature outrancière" -
Selon la Miviludes, "les responsables de la communauté sembleraient entretenir volontairement une ambiguïté sur le statut des membres, tantôt religieuses tantôt laïques au gré des besoins".
Les Travailleuses missionnaires forment une communauté de "vierges chrétiennes" - ce ne sont pas des soeurs - fondée par un prêtre, Marcel Roussel-Galle (1910-1984), "défavorablement connu pour abus sexuels", note la Miviludes. Elles appartiennent à la Famille missionnaire Donum Dei (FMDD), association de fidèles reconnue par le Saint-Siège et canoniquement rattachée à l'ordre des grands carmes. Dans un "memorandum", l'organisation décrit la "tâche librement acceptée" d'une TM comme "une offrande" et un "moyen d'apostolat". "Son comportement et ses actes () échappent par nature à l'ordre civil", soutient-elle, qualifiant les critiques de "caricature outrancière".
Mais une association loi 1901, ce que sont les TM en France avec 360 adhérents, peut-elle échapper au droit commun? "Leur nom est trompeur. En France, il y a une législation du travail, elles passent à côté pour l'instant", glisse un administrateur de la Cavimac, la caisse de Sécu des cultes.
Cotisations, couverture sociales: une régularisation est en cours depuis janvier, affirme-t-il. Les TM en mission en France ont reçu une carte Vitale, précise la Miviludes. "Les Travailleuses missionnaires ont bien compris que la situation était sérieuse, que du côté de Rome comme des évêques de France on ne lâcherait pas", explique l'administrateur de la Cavimac.
"On a aussi des témoignages de femmes qui y sont et le vivent plutôt bien. Cela fait partie de la complexité du dossier", assure ce représentant ecclésial. "Les membres de la communauté n'en sont pas salariées et ne sauraient l'être puisque ce n'est pas le lien qui les unit à la communauté?", elles "exercent une activité commune aux services des autres, comparable à celle des religieuses infirmières dans les hôpitaux", plaide l'Association des Travailleuses missionnaires dans un droit de réponse adressé en juin au quotidien La Croix.
"Depuis que les anciens ont commencé à témoigner, les carmes se sont ressaisis", estime Danièl. S'il porte plainte, c'est pour ceux qui sont aujourd'hui aux TM, "pour une réforme de la communauté". Et "pour que justice soit rendue: nous sommes des êtres humains!".
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