Le Parlement tunisien a entamé mercredi trois jours de débats pour adopter une nouvelle loi "antiterroriste", un texte attendu depuis des mois dans un contexte d'attaques sanglantes revendiquées par le groupe État islamique mais déjà critiqué par des ONG.
Plusieurs versions du projet de loi sur "la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent", réclamé depuis la révolution de 2011, ont été élaborées ces derniers mois, sans être présentées aux députés en séance plénière faute de consensus en vue de son adoption.
Ce débat intervient dans un contexte de menace grandissante après les attaques en juin à Sousse (38 touristes tués) et en mars au musée du Bardo (22 morts, dont 21 touristes), revendiquées par le groupe État islamique.
Le projet présenté mercredi a fait l'objet d'un accord en commission entre les représentants des principaux groupes parlementaires, notamment le parti islamiste Ennahda et le parti Nidaa Tounès du président Béji Caïd Essebsi. Ces deux mouvements ont formé une coalition gouvernementale en début d'année faute de majorité claire à l'issue des législatives de fin 2014.
La journée de mercredi était consacrée à un débat général sur le texte, et il doit par la suite être examiné article par article par les élus.
"Ce projet est un des supports parmi d'autres (de la lutte contre la menace jihadiste), c'est un test historique et nous devons gagner", a martelé le député Khaled Chouket (Nidaa Tounès).
Ce texte est appelé à remplacer une loi antiterroriste de 2003, adoptée sous la dictature de Zine El Abidine Ben Ali et largement utilisée, selon les défenseurs des droits de l'Homme, pour réprimer l'opposition, en particulier le parti Ennahda alors interdit.
- Des ONG inquiètes -
Plusieurs ONG, dont Human Rights Watch et Amnesty International, se sont d'ores et déjà inquiétées de mesures liberticides dans la future loi.
Le projet de loi "risque de permettre la répression de certains actes qui ne sont pas véritablement de nature terroriste. En effet de simples manifestations pacifiques accompagnées de certains troubles pourraient être qualifiés d'actes de terrorisme", relèvent, dans une lettre aux députés du 7 juillet, ces organisations.
Des députés de l'opposition ont repris ces arguments tout au long de la journée.
"Nous avons peur que la lutte contre le terrorisme ne se transforme en une lutte contre les mouvements sociaux et populaires", a jugé l'élu de gauche (Front populaire, opposition), Ammar Amroussia.
Son collègue Salem Labiadh, un indépendant qui a été ministre en 2013 dans le gouvernement de l'islamiste Ali Larayedh, s'est montré encore plus virulent.
"Cette loi ne va pas limiter le phénomène du terrorisme, cette loi va alimenter le terrorisme () cette loi ne fait pas la différence entre les mouvements sociaux et protestataires et l'acte terroriste", a-t-il jugé.
Une autre critique des défenseurs des droits de l'Homme vise le délai de garde à vue de 15 jours sans que le suspect ne soit assisté d'un avocat ou présenté à un juge.
Par ailleurs, les ONG jugent que le texte peut être interprété de manière "à empêcher les journalistes de recueillir et diffuser des informations () relatives à la manière dont les autorités de police respectent les droits fondamentaux".
Le projet prévoit aussi des sanctions très lourdes, pouvant aller jusqu'à la peine capitale, des procédures simplifiées pour procéder à des écoutes de suspects, ou encore l'utilisation de témoignages anonymes comme éléments à charge contre un accusé.
La Tunisie fait figure de modèle de transition démocratique réussie dans le monde arabe depuis sa révolution en janvier 2011, mais elle est confrontée à une menace jihadiste grandissante et à des tensions socio-économiques toujours plus aiguës, si bien que les autorités craignent de voir le pays basculer dans l'instabilité.
Le secteur stratégique du tourisme a subi de lourdes pertes depuis les attaques de Sousse et du Bardo, et le gouvernement a multiplié les annonces, avec notamment la mise en place de l'état d'urgence, pour tenter de rassurer les voyageurs et ses partenaires étrangers.
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