D'excellents résultats techniques, une porcherie impeccable, une ferme d'où ne se dégage que l'odeur des fleurs: installé depuis 25 ans à Plédéliac (Côtes-d'Armor), Jean-Michel Juhel adore son métier, mais ne voit pas d'issue à la crise que traverse l'élevage en France et pointe du doigt l'Europe et ses dysfonctionnements.
"Les animaux, c'est une passion. J'adore mon travail, mais ça ne pourra pas durer longtemps comme ça", affirme cet éleveur de 49 ans, auquel la pratique de la course à pied a conservé une silhouette de jeune homme. Après un BTS en productions animales, il a repris en 1990 la ferme de ses parents sur laquelle il travaille seul, élevant des porcs, tandis que son épouse travaille à l'extérieur.
"J'ai connu des bonnes années, où j'ai pu mettre de l'argent de côté pour préparer l'avenir de mes enfants. Mais je n'ai jamais connu de crise aussi grave. Tous ceux qui viennent de s'installer, ils ont la corde au cou", peste-t-il.
Président de la section FDSEA de son canton, Jean-Michel Juhel est "naisseur-engraisseur". Dans son atelier, il a 130 truies, quand une exploitation porcine moyenne en compte 200. Chaque truie donne naissance chaque année à environ 2,4 portées, chacune d'une douzaine de porcelets, qu'il élève jusqu'à leur départ pour l'abattoir.
"Sur un porc charcutier (115 kg en vif et 93 kg de viande), il manque 30 euros à la vente", soit 32,25 centimes d'euro par kilo, pour couvrir les coûts de production, calcule-t-il. Tous les 10 jours, un camion vient livrer l'aliment pour les bêtes, soit "7.800 euros à chaque livraison".
C'est l'une des nombreuses charges auxquelles l'éleveur doit faire face (chauffage, cotisations sociales), alors que ses rentrées d'argent procurées par la vente des animaux sont insuffisantes. Sans parler du cours des céréales, utilisées pour l'alimentation animale, qui monte parce que "des traders spéculent".
- "On ne voit pas la sortie" -
Malgré ses "13 à 14 heures de travail par jour", Jean-Michel Juhel ne s'est pas payé de salaire depuis belle lurette et a dû puiser dans ses économies pour injecter 60.000 euros cette année dans son exploitation et maintenir son élevage à flot. L'an dernier, il avait investi 70.000 euros pour "la mise aux normes bien-être" de ses porcs, soignés "à l'homéopathie et aux huiles essentielles". Les animaux ont droit à de petits ballons jaunes qu'ils viennent taquiner du groin et à un lapin qui gambade pour réduire leur stress.
Mais Jean-Michel Juhel en veut à l'Europe, qu'"il faut refonder", ainsi qu'aux transformateurs qui se livrent à une publicité souvent mensongère, comme aux consommateurs qui veulent acheter moins cher, sans se préoccuper des garanties sanitaires offertes par la production française.
"On importe du porc d'Espagne, alors que les Espagnols continuent à donner des farines animales à leurs animaux, ce qui est interdit chez nous, qu'ils les gavent de produits pharmaceutiques entre autres pour favoriser leur croissance, ce que nous ne faisons pas, qu'ils n'ont pas de normes environnementales aussi sévères que chez nous", dénonce-t-il.
Quant à l'Allemagne, l'éleveur rappelle "les distorsions de concurrence", en particulier en matière sociale, avec les salariés d'Europe de l'Est. "Il nous faudrait une refonte de l'Europe. Là, on écrase l'humain. Il y a trop de concurrence faussée dans cette Europe", estime-t-il.
"Beaucoup d'éleveurs souffrent énormément, je reçois beaucoup de coups de fil. On n'a jamais connu une crise comme ça et on ne voit pas la sortie. On demande juste des prix rémunérateurs. C'est presque trop tard que le gouvernement se réveille. On est en train de laisser crever les éleveurs () Je peux encore faire une année, mais ma femme me dit: +Qu'est-ce qu'on fait si ça continue comme ça?+" raconte encore Jean-Michel Juhel.
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