D'énièmes réunions bruxelloises n'ont pas mis un point final à la crise grecque. Mais en envisageant par écrit une sortie de la Grèce de l'euro, les institutions européennes ont acté le fait qu'adopter la monnaie unique n'est pas irréversible, exposant une profonde fracture franco-allemande.
Croire que la zone euro pourrait se désagréger, c'est "méconnaître le capital politique que nos dirigeants ont investi dans cette union et le soutien des Européens. L'euro est irréversible". La phrase date de 2012 et son auteur est le gouverneur de la Banque centrale européenne Mario Draghi.
Trois ans plus tard, il était à la table de l'Eurogroupe qui écrivait (sans emporter l'adhésion de tous les participants): "En cas d'échec à trouver un accord, la Grèce se verrait proposer de négocier rapidement une sortie temporaire de la zone euro".
Finalement, à l'issue de deux jours de réunions marathon, les chefs d'Etat ont effacé cette phrase de leur communiqué final, se félicitant de leur unité, et le patron de la Commission Jean-Claude Juncker a même affirmé "Le Grexit a disparu", comme on chasse un mauvais rêve.
"Mais le couperet est bien là", assure à l'AFP Christopher Dembik, analyste chez Saxo Bank. Si la Grèce ne s'en sort pas, dans quelques temps, la pression va augmenter pour pousser Athènes hors de la zone euro. Il n'y aura plus d'autres choix et "nous aurons instauré un mécanisme punitif. C'est une vrai volonté politique" de certains pays, notamment de l'Allemagne.
"L'Allemagne a franchi le Rubicon pour la première fois et dit que si on ne peut pas avoir confiance dans un gouvernement, il devra quitter la zone euro (même temporairement)", commentait dimanche soir Erik Nielsen, chef économiste d'UniCredit.
"Il est difficile de savoir si c'était un jeu tactique ou si c'était vraiment pour forcer la Grèce à sortir de l'euro", nuance Pawel Tokarski, analyste de la Fondation Sciences et Politique (SWP) à Berlin.
- 'La Grèce était un pion' -
S'il n'a pas changé radicalement et immédiatement la face de la zone euro, ce long week-end de négociation a glissé le doigt de l'Europe dans un engrenage, et mis à nu une fracture conceptuelle entre la France et l'Allemagne sur ce que doit être l'union monétaire.
"La Grèce était un pion dans le jeu entre la France et l'Allemagne", observe M. Tokarski: "L'enjeu, c'est la direction que doit prendre la Zone euro".
Ce qui s'est joué ces dernières 48 heures, c'est le combat pour déterminer "le type d'Europe que nous aurons dans le futur", selon Erik Nielsen. Cela "se résume à un affrontement entre l'Allemagne et la France", selon lui.
Deux pays qui ont des conceptions opposées de ce que doit être la monnaie unique.
La France veut de la "flexibilité, un rôle clé des Etats-membres et des institutions faibles", tandis que "la vision allemande est une Commission forte, apolitique, des règles claires, peu de flexibilité", selon M. Tokarski.
"C'est une vision partagée schématiquement par les pays du Nord" de l'Europe, dont les ministres faucons ont fondu de concert avec l'Allemagne sur la Grèce, remarque-t-il.
Les grilles de lecture sont elles aussi différentes. "La France intègre dans l'analyse des considérations geostratégiques et les effets domino. L'Allemagne le fait aussi, mais c'est une question de pondération", relève Agnès Benassy-Quéré, professeur à l'université Paris-1, pointant l'importance du concept d'aléa moral en Allemagne, cette idée qu'un engagement doit être respecté faute de quoi cela ouvrira la porte à d'autres entorses.
A terme, au delà de l'unité affichée devant les caméras, "l'affrontement est inévitable" estime M. Dembik et s'il dégénère, il pourrait conduire à un "schisme entre le Nord et le Sud de l'Europe".
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