Notre regard sur la défiguration peut-il changer? Sous la houlette du professeur Bernard Devauchelle, pionnier de la greffe du visage, l'Historial de la Grande Guerre de Péronne, dans la Somme, propose de regarder bien en face les "gueules cassées" du premier conflit mondial.
"Ce n'est pas seulement une commémoration, c'est aussi la volonté d'éduquer le regard", explique doucement le professeur Devauchelle.
Le sujet passionne celui qui a réalisé la première greffe de la face en 2005, aujourd'hui chef du service de chirurgie maxillo-faciale au CHU d'Amiens. L'exposition dont il est conservateur à l'Historial lui permet de la faire partager.
Fondée sur deux niveaux de lecture, elle permet à la fois une approche chronologique et une approche comparative.
Le point de départ, qui marque aussi la volonté de l'exposition de s'inscrire dans une démarche artistique, est une eau-forte d'Otto Dix, qui fut soldat dans l'armée allemande au cours de la Première guerre mondiale: titrée "Transplantation", elle représente une "gueule cassée", expression française qui n'a pas d'équivalent outre-Rhin.
Tout au long du parcours, poèmes et haïkus de poilus accompagnent le visiteur.
En longeant la partie gauche de l'exposition, le fil rouge est chronologique, de la naissance des "gueules cassées", surnom donné par les blessés de la face eux-mêmes qui avaient dû se constituer en association à la fin de la Grande Guerre: dans la France rurale de l'époque, un homme avec ses deux jambes et ses deux mains, capable donc de travailler aux champs, ne touchait pas de pension même s'il était atrocement défiguré.
Pour gagner de l'argent, les "gueules cassées" furent à l'origine de la loterie nationale, dont ils vendaient les tickets jusque dans les années 1960, comme l'explique un petit film.
- Masques et prothèses -
Viennent ensuite les portraits des grands médecins, chirurgiens ou dentistes surtout, qui firent avancer la recherche dans le domaine du visage.
Après le conflit de 1914-1918, environ 15.000 grands mutilés de la face sont comptabilisés, qui souffrent de l'impréparation totale des autorités médicales militaires, confrontées à des blessures nouvelles, souvent liées à l'explosion de shrapnels (obus à balles).
Ce qui fera faire des progrès accélérés à la chirurgie de guerre. Les nombreuses photographies, la collection de masques du dentiste Albéric Pont, véritable "cabinet de curiosités", les nombreuses pièces prothétiques venues du musée du Val-de-Grâce sont autant de témoignages du travail de recherche et d'inventivité de ces médecins.
La partie droite de l'exposition est un saut dans le temps, et la mise en miroir des deux parties permet de mieux se rendre compte de l'évolution de la science.
Des crânes reproduits grâce à l'impression 3D, aux prothèses en silicone, aux plâtres des trois greffés français de la face avant et après l'opération, les aides à la chirurgie moderne s'affichent presque comme des ?uvres d'art, comme semble l'illustrer la dernière pièce de l'exposition, une juxtaposition d'empreintes de mâchoires.
L'exposition "Face à Face, Regards sur la dé(re)figuration", se tient à l'Historial de la Grande Guerre de Péronne jusqu'au 11 novembre, une date très symbolique puisqu'elle est celle de la fin du conflit.
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.