Les affiches à son effigie fleurissent dans Kaboul, il croule sous les cadeaux des dirigeants: Essa Khan, le soldat qui a tué seul six talibans lors de l'assaut du parlement afghan lundi, est le "héros" dont a soif le pays, miné par l'insécurité.
Il n'a pas fallu longtemps aux journalistes afghans pour catapulter ce sergent trapu de 28 ans au firmament, avec la bénédiction de l'armée et du gouvernement afghans, trop heureux d'avoir mis la main sur un soldat au patriotisme fièrement affiché.
L'assaut à peine fini, Essa Khan Laghmani a enchaîné lundi soir les directs à la télévision et les interviews aux journaux, racontant avec bonhommie comment il avait abattu sans peine six talibans retranchés dans un bâtiment adjacent au parlement.
"J'ai mis les terroristes en joue, j'ai dit +Bismillah+ (Au nom de Dieu, ndlr), et pan! Au tapis!", a-t-il raconté à l'AFP.
"Et pan! Au tapis!" ("Taq Chapako!", en persan afghan), l'expression a fait florès chez les Afghans. Ils la dégainent désormais aussi bien sur Facebook, Twitter, que des autocollants ou même dans des poèmes.
"Les kamikazes, ces inconscients, sont arrivés/ Mais Essa Khan était là pour les saluer/ Il a sorti son (fusil) M16 et les a buttés/ Taq Chapako! Taq Chapako!", a écrit un de ces troubadours.
La classe politique afghane n'est pas en reste. Le président afghan Ashraf Ghani lui a offert un trois-pièces, le premier vice-président et ancien chef de guerre Rashid Dostom lui a remis un pickup flambant neuf et certains élus ont promis de lui verser l'équivalent d'un mois de leur salaire.
"Il a tué six terroristes avec six balles. Il a sauvé la vie des députés", dont aucun n'a été blessé, s'est félicité Dawlat Waziri, porte-parole du ministère de la Défense, lors d'un entretien avec l'AFP.
L'explosion d'une voiture piégée qui a sonné le début de l'attaque du parlement a, elle, tué une femme et un enfant.
- "L?Afghanistan veut des héros" -
Mais les prouesses d'Essa Khan Laghmani permettent aussi au gouvernement afghan de s'offrir une éclaircie dans un ciel assombri par l'offensive de printemps des rebelles talibans et un nombre croissant de victimes civiles.
Depuis le mois d'avril, les insurgés islamistes ont encore accentué leurs attaques contre le gouvernement et les forces de sécurité dans leur fief du sud, mais aussi au nord.
Par deux fois ces dernières semaines, ils sont ainsi parvenus aux portes de la ville de Kunduz, un verrou stratégique du nord du pays, avant d'être repoussés.
Si leurs coups de boutoir aboutissaient, Kunduz serait la première grande ville afghane à retomber aux mains des talibans depuis la chute de leur régime en 2001. Un cauchemar pour le président Ghani.
Autant dire qu'Essa Khan arrive à point nommé. Les analystes consultés par l'AFP estiment qu'il permet de dissimuler temporairement les carences de l'armée et les souffrances des civils, qui payent le prix fort de ce conflit vieux de plus de 13 ans.
Le gouvernement afghan "cherche par tous les moyens quelque chose qui lui permette de rehausser le moral et l'image des forces de sécurité", analyse Heather Barr de l'ONG Human Rights Watch.
"L'Afghanistan veut des héros et c'est justement pour cela que ce soldat fait l'objet d'une telle dévotion", renchérit Michael Kugelman, spécialiste de l'Afghanistan au centre international de chercheurs Woodrow-Wilson à Washington.
"En substance, l'Afghanistan semble dire (à la communauté internationale): +cela vaut le coup de continuer à nous financer parce que nous avons les ressources humaines nécessaires+", ajoute-t-il.
Mais dans les rangs de l'armée, certains soldats font discrètement entendre leur frustration de voir un seul camarade récompensé quand le sacrifice de tant d'autres tombe dans l'oubli.
"Des soldats afghans meurent chaque jour en accomplissant des actes autrement plus héroïques", confie l'un d'eux à l'AFP sous couvert d'anonymat.
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