La magistrate Isabelle Prévost-Desprez a formellement nié lundi, au premier jour de son procès à Bordeaux, avoir violé le secret professionnel dans l'enquête sur l'affaire Bettencourt, dont elle fut un acteur-clé, avant d'en être dessaisie avec le dépaysement du dossier loin de Nanterre.
La présidente de la 15e chambre correctionnelle de Nanterre est notamment soupçonnée d'avoir divulgué, dans des échanges téléphoniques, les détails d'une perquisition au domicile de Liliane Bettencourt le 1er septembre 2010, relatée le jour même dans Le Monde par le journaliste Jacques Follorou, avec qui la magistrate avait co-signé quelques mois plus tôt un livre : "Une juge à abattre"
Mme Prévost-Desprez, 55 ans, "conteste absolument" avoir commis un tel délit, passible d'un an de prison et 15.000 euros d'amende. Elle affirme n'avoir eu que des "discussions personnelles" avec M. Follorou, "un ami" de longue date.
Pour expliquer les poursuites dont elle fait aujourd'hui l'objet, elle a longuement évoqué lundi matin l'ambiance détestable et l'atmosphère de suspicion qui régnaient en 2010 au tribunal de Nanterre. Une lutte d'influence - "un conflit institutionnel" selon la juge - que le procureur Philippe Courroye et certains membres du parquet menaient à l'époque contre les magistrats du siège, sur fond d'amitiés politiques coupables, assure Mme Prévost-Desprez.
"Un dossier particulier" puisque les juges sont "appelés à juger une collègue", a relevé le président du tribunal correctionnel de Bordeaux, Denis Roucou.
Ce dossier tire son origine d'une plainte contre Mme Prévost-Desprez de Me Georges Kiejman, alors avocat de Liliane Bettencourt, pour "violation du secret professionnel", une plainte déposée le jour même de cette perquisition chez l'héritière de L'Oréal, dans une procédure dont la magistrate de Nanterre avait la charge.
Pour l'avocat de la juge, Me François Saint-Pierre, il ne fait aucun doute que la plainte de Me Kiejman "visait de manière explicite le dessaisissement" de Mme Prevost-Desprez d'une procédure qui s'intéressait alors aux liens entre la milliardaire et le financement de l'UMP, parti du président de l'époque, Nicolas Sarkozy. Un temps mis en examen pour abus de faiblesse, l'ex-chef de l'Etat a bénéficié d'un non-lieu en 2013 et le financement illicite de l'UMP par la femme la plus riche de France n'est plus d'actualité pour la justice.
- "Investigations dangereuses" -
De la part de Me Kiejman - qui ne souhaite plus s'exprimer sur cette affaire - "il s'est agi plus d'une réaction contre la perquisition chez Mme Bettencourt que contre la publication de l'article" du Monde la relatant, a soutenu l'avocat de Mme Prévost-Desprez.
"Me Kiejman n'a pas agi dans l'intérêt de sa cliente, il a été payé très cher juste pour m'injurier", a renchéri la juge de Nanterre, en réponse à une question de Benoît Ducos-Ader, qui représente aujourd'hui la milliardaire de 92 ans, atteinte de la maladie d'Alzheimer. Me Kiejman avait en effet eu des mots très durs contre la magistrate, raillant publiquement lors d'une conférence de presse "son rouge à lèvres débordant" et "le poids qu'elle a pris".
Dès le lendemain de la plainte de Me Kiejman, le procureur Courroye diligentait une enquête pour trouver la source des "fuites" publiées par le Monde.
Ce magistrat, Mme Prévost-Desprez le connaît bien, pour avoir travaillé avec lui au pôle financier du TGI de Paris. Elle a même reconnu lundi l'avoir "trouvé exceptionnel" au cours d'une instruction menée ensemble.
Mais en 2010, leurs relations avaient dégénéré et ils étaient en guerre ouverte. La juge reprochait notamment au procureur sa proximité avec le pouvoir sarkozyste. Selon elle, son amitié pour le président était de notoriété publique au TGI et "il ne se cachait pas du fait qu'il allait être nommé procureur de Paris", fort de ses soutiens politiques.
Philippe Courroye avait donc tout intérêt à bloquer les "investigations dangereuses" autour de la fortune de Liliane Bettencourt, affirme la juge.
Ces investigations se poursuivront malgré tout, grâce au dépaysement en novembre 2010 de l'affaire à Bordeaux, loin des passions de Nanterre.
Et elles vaudront à Mme Prévost-Desprez la perquisition d'un juge d'instruction bordelais à son domicile parisien pour saisir son téléphone portable. "Une perquisition inutile", qui a "elle aussi fuité dans la presse", a-t-elle souligné à la barre, s'indignant d'avoir été "traitée moins bien dans cette procédure qu'un trafiquant de stupéfiants multirécidiviste".
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