Kevin Chassin, jihadiste français de 25 ans, a envoyé un "je t'aime, bisous" à son petit frère à Toulouse, une heure avant de se faire exploser, vendredi, dans un attentat meurtrier en Irak.
Depuis, Brice, 21 ans, ne cesse de consulter les innombrables messages et photos que son demi-frère lui adressait "chaque jour" ces deux dernières années: un flux continu où alternent tendresse et violence, banalité et horreur absolue.
"On se parlait plus qu'avant", dit-il, depuis que Kevin - alias Abou Maryam al-Firansi - était parti en Syrie, au printemps 2013. "Il me racontait, tout comme s'il était en voyage, mais sans rien dire de concret de ce qu'il préparait" pour l'organisation ultra radicale sunnite Etat islamique, raconte Brice, jeune père de famille et employé des Postes à Toulouse, en faisant défiler les photos dimanche.
"Là il pose devant la piscine du palace de Mossoul où l'EI lui aurait payé dix jours de vacances" avant l'attentat de vendredi. "Là il est avec sa deuxième femme, qu'on ne voit pas parce qu'elle est entièrement voilée de la tête au pied: je lui avais écrit (ironiquement) +elle est belle+, il avait répondu +enfoiré+ Et puis il y a les vidéos qu'il aimait envoyer, tel ce film de l'EI, intitulé "l'exécution de chrétiens" sur une plage de Libye
Car le grand frère - autrefois "bagarreur" mais "protecteur" - était devenu capable de dire: "je n'ai jamais eu la chance d'égorger quelqu'un". Ou d'écrire "les têtes vont tomber" sur son profil Facebook, une tête tranchée à la main: "Il était allé au marché, en Syrie, et avait vu deux corps décapités par terre. Il voulait faire un foot avec une tête. A la place, il avait fait une photo"
En novembre, Kevin était aussi apparu sur une vidéo de propagande de l'EI, comme l'un des trois Français qui appelaient les musulmans de France au jihad avant de brûler leur passeport. "Mais lui m'avait avoué qu'il n'avait pas brûlé le sien. On leur disait quoi dire. Pour moi, c'est une secte, l'EI. Tu ne peux plus revenir en arrière".
Catholique converti à l'islam, Kevin avait d'abord séjourné au Maroc où il s'était marié et y avait eu un enfant. Puis, "après un cambriolage" à Toulouse, il avait gagné la Syrie au printemps 2013. "Il y a deux mois, il m'avait appelé en pleurs à 6 heures du matin, en disant qu'il partait de Syrie en Irak et pouvait mourir sur la route".
Son "meilleur ami" - un Français surnommé Abou Abdelaziz - serait "parti en même temps que lui de Toulouse" et "mort en même temps dans le double attentat-suicide" de vendredi.
- "Perdu, tout le temps" -
Pour décrire l'enfance de son demi-frère, Brice évoque une famille "100% française" et des parents - père cuistot, mère femme de ménage - vite séparés. "Lui et mes deux autres (demi) frères ont été placés très tôt en famille d'accueil, pas moi. Kevin y est resté de 3 à 18 ans. Il ne m'en a jamais trop parlé. () Mais avant de partir en Syrie, il a dit qu'il avait toujours été rabaissé, séparé de ses frères, mal aimé, et que la religion l'avait sauvé".
N'ayant jamais beaucoup travaillé, avec son "CAP mécanique", Kevin aura eu "de mauvaises fréquentations, cité Bourbaki ou à La Reynerie, attiré par la petite délinquance". "Moi et mes autres frères - qui ont une femme, un travail - on a su faire la différence entre les bons et les mauvais, lui, non".
A la question "quel genre de garçon était-il?", Brice répond directement: "Perdu, tout le temps. Trop faible d'esprit. Si on lui disait +les chiens, c'est bien+, il achetait un chien, +le rap, c'est bien+, il se mettait au rap, +l'islam, c'est bien+, il se convertissait"
Avant de plonger dans le "jihad" et de se dire "haut placé" au sein de l'EI: "En Syrie, il disait qu'il avait géré 60 Français. Mais ça le soûlait parce qu'à chaque fois qu'il y avait des morts, il devait appeler les familles (en France). Il préférait qu'on le dirige. C'était le soumis, pas celui qui soumet".
"Je réaliserai qu'il est mort quand il ne répondra plus", dit Brice, comme s'il n'avait pas déjà reçu samedi un appel de "condoléances" d'un membre de l'EI et une photo de Kevin posant, le doigt vers le ciel, devant le camion chargé d'explosifs qu'il allait précipiter contre un QG de l'armée irakienne.
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