Chérif Delay, un des enfants victimes de l'affaire d'Outreau (Pas-de-Calais), a plongé la cour d'assises d'Ille-et-Vilaine dans son enfer, fait de cauchemars, de rage, de sentiments d'injustice, et désigné pour la première fois, au troisième jour du procès, Daniel Legrand comme agresseur mais aussi comme victime de viols.
"Les faits ont commencé quand j'avais cinq ans, à Noël", commence Chérif Delay, cheveux bruns très courts et survêtement blanc à rayures bleues, d'une voix décidée malgré un traitement médicamenteux. Aujourd'hui âgé de 25 ans, il a eu une permission exceptionnelle pour venir témoigner alors qu'il est en internement psychiatrique.
Mais avec Noël, le cauchemar surgit: une cassette pornographique en guise de cadeau de son "beau-père", ainsi qu'il appelle Thierry Delay, qui l'a en fait adopté et qui a été condamné à 20 ans de réclusion pour viols notamment sur ses frères et lui.
La cassette est visionnée "en famille", puis le film aussitôt reproduit, en vrai, sur lui. Il est violé par son beau-père, raconte Chérif, qui évoque aussi les poses obscènes de sa mère Myriam Badaoui, condamnée à 15 ans de prison pour les viols de ses fils.
"Par la suite, ajoute Chérif, j'ai vu défiler des personnes", comme ce couple de voisins, également condamné pour les avoir violés, ses frères et lui. Mais il nomme aussi une bonne partie des 13 "acquittés" d'Outreau, sur les 17 mis en examen au départ de l'affaire.
Et parmi eux, pour la première fois, Daniel Legrand, que pourtant il n'avait jamais désigné lors de l'instruction ni reconnu lors des procès de 2004 et de 2005.
"Il a été victime de mon beau père exactement comme moi, Monsieur le président", déclare Chérif, surprenant la cour. Et il affirme aussi que le père de Daniel Legrand laissait violer son fils. Il n'est "pas sûr" cependant qu'il participait à l'agression.
Après quoi il évoque "une scène" dans laquelle Daniel Legrand, une fois, sera lui-même agresseur. Mais sans donner plus de détails que son frère Jonathan, 20 ans, qui l'a incriminé mercredi.
- 'Reproduire le passé -
Mais si Daniel Legrand, et son père homonyme, acquitté également et décédé en 2012, reprennent place dans les scènes d'horreur que décrit Chérif Delay, d'autres, qu'il accusait il y a 15 ans, en ont disparu. Comme cet homme très handicapé, pourtant accusé dès ses premières déclarations: "Je me souviens de cette personne parce qu'il faisait peur, mais les viols, je ne me souviens pas Monsieur le président".
Puis Chérif, en larmes mais déterminé, entraîne la cour et le public du tribunal de Rennes dans l'enfer qu'est restée sa vie: "J'en peux plus, je suis fatigué de tout ça, fatigué d'être insulté, d'être diffamé sans que je puisse répondre". "J'ai fini SDF le jour de mes 18 ans, picolé, fumé, provoqué la police J'ai fait de l'incarcération, je suis sorti, je suis parti en Afrique pendant trois ans", ajoute-t-il, soulignant que ce séjour est son seul bon souvenir.
"J'ai des hauts et des bas, je suis devenu même violent avec ma compagne, c'est pour ça que je suis incarcéré J'ai l'impression de reproduire certaines choses de mon passé, en gros la violence", dit-il.
"Je trouve ça dégueulasse: le ressenti que j'ai eu quand j'ai vu tous ces acquittés avec les ministres? Comment c'est possible? Aujourd'hui je l'ai encore, ici", crie-t-il presque, évoquant le retentissant fiasco judiciaire de la dernière décennie.
En 2013, raconte le président, Chérif est allé s'accuser à la gendarmerie d'avoir tué une petite fille, sous la menace de son père, alors qu'il avait huit ans. Quelques semaines plus tard il a retiré sa déclaration. Pourquoi? lui demande le président. "J'ai mélangé entre les cauchemars et la réalité".
Daniel Legrand fils, 33 ans, comparaît à Rennes pour la période où il était âgé de 16 à 18 ans, jamais jugée. Il a en revanche été acquitté, avec 12 autres des accusés d'Outreau, des accusations de viols postérieurs à sa majorité.
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