Le tribunal a plongé dans le brouillard de l'instruction de l'affaire Outreau mercredi à Rennes, au deuxième jour du procès de Daniel Legrand, en se penchant sur les auditions des enfants Delay, violés par leurs parents, à l'origine de ce dossier il y a 14 ans.
Daniel Legrand - dont le père homonyme, décédé en 2012, était comme lui un des 13 acquittés d'Outreau - est poursuivi pour des accusations de viols retenues contre lui en 2003 à l'issue de l'instruction initiale de l'affaire d'Outreau, menée par le juge Fabrice Burgaud, mais qui n'avaient pas encore été jugées pour la période où il était mineur.
Un premier policier enquêteur, en charge de l'audition des enfants, est venu témoigner mercredi matin, faisant ressurgir dans la salle d'audience bretonne la brume angoissante de l'enquête, en relatant les premières auditions des enfants victimes, dans les limbes de l'enquête, début 2001.
Lorsqu'ils sont entendus pour la première fois début 2001, les fils de la famille Delay, âgés de 10, 8, 6 et 4 ans seulement, dénoncent des faits de viols et de violences de la part de leurs parents et de "familiers", se souvient Didier Wallet, alors responsable de la brigade des mineurs de Boulogne-sur-mer.
Ils dénoncent leurs parents et un couple de voisins, qui ont depuis lors avoué et ont été condamnés pour les avoir violés. Les enfants dénoncent aussi d'autres personnes parmi lesquelles plusieurs des futurs acquittés et même un adulte, handicapé si lourdement qu'il sera d'office écarté de la suite de l'enquête.
Le nom de Daniel ou Dany Legrand n'apparaît pas à ce stade.
Puis, au fil des auditions de ces enfants, de leurs assistantes maternelles, puis d'autres enfants qu'ils ont aussi désignés comme victimes, le nombre d'enfants comme d'adultes entendus, va exploser, passant à plusieurs dizaines.
- "Concentration phénoménale de pédophiles?" -
"N'avez vous pas eu le sentiment que ce quartier d'Outreau avait une concentration phénoménale de pédophiles?", interroge le président Philippe Dary. "Bien sûr, mais c'était 80% de nos affaires" de mineurs, se souvient M. Wallet. Pour expliquer le phénomène, le policier invoque "l'alcoolisme et le fait que de nombreux parents avaient déjà fait l'objet d'agression sexuelle par des familiers".
Loin d'être blasé, M. Wallet se souvient d'une "période assez difficile, vu les déclarations que nous faisaient les enfants (Delay)". "C'était une des rares fois qu'on avait pu entendre autant d'agressions sur des enfants, pas seulement des pénétrations", ajoute-t-il. Chez les parents Delay seront découverts "des centaines de cassettes pornographiques" ainsi que des "ustensiles pornographiques".
Et pour mener cette enquête, qui s'ajoute à plusieurs dizaines d'autres dont il est chargé dans le même temps, ses moyens sont dérisoires: "On manquait d'ordis, on avait une voiture pour 15 () on était quatre pour traiter cette affaire-là () et même à un moment à deux Sans compter tous les autres dossiers".
Au fil de l'enquête, des albums photos sont montrés à certains enfants et à d'autres, non, selon une logique qui étonne le président, comme certains avocats de ce procès. En outre seront présentés souvent des "catalogues (photos) avec que des gens concernés" par l'enquête, et non pas mélangés avec des personnes non impliquées, s'étonne Me Patrice Reviron, avocat de Chérif Delay. "C'est le juge (Burgaud) qui m'a dit de faire comme cela", répond M. Wallet.
Outre un deuxième enquêteur en fin de matinée, l'audition de Chérif Delay - hospitalisé en milieu carcéral actuellement - devrait être lue dans l'après-midi, suivie de l'audition de son frère Jonathan.
Le dossier d'Outreau, portant sur un réseau pédophile présumé, a éclaté en février 2001. Mais après deux procès, à Saint-Omer (Pas-de-Calais) en 2004 puis en appel à Paris fin 2005, l'affaire débouche sur un "fiasco judiciaire" avec l'acquittement de 13 personnes sur les 17 mises en examen, après parfois trois ans de détention provisoire.
Devenu adulte handicapé, Daniel Legrand fils suit un traitement antipsychotique lourd et a évoqué mardi, au 1er jour de ce procès de 3 semaines, le cauchemar que lui a fait vivre cette affaire.
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