Malgré les tirs de sommation, des milliers de manifestants hostiles au président Pierre Nkurunziza ont à nouveau investi mardi les rues de Bujumbura, où leurs leaders ont appelé à vaincre "la peur" de la répression et poursuivre la lutte.
Au lendemain d'une mobilisation en demi-teinte, la contestation a repris de plus belle dans les quartiers périphériques de Cibitoke, Nyakabiga, Kinanira et les autres hauts lieux habituels, depuis trois semaines, du mouvement populaire contre la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat à l'élection présidentielle du 26 juin.
A Musaga, plus d'un millier de protestataires ont envahi une des principales avenues du quartier, lors du plus grand rassemblement depuis le coup d'Etat manqué de mercredi, qui avait vu la foule déferler dans le centre-ville.
Ils ont été rejoints lors d'un meeting improvisé par cinq figures du mouvement, opposants politiques et leaders de la société civile. Après une minute de silence "pour les martyrs du combat pour la liberté", en mémoire de la vingtaine de tués depuis le début des manifestations, ces responsables ont appelé les Burundais à "vaincre la peur" des balles et continuer à défiler "malgré les menaces".
"Nous venons de montrer que les Burundais peuvent se battre pour leurs droits", a notamment lancé le vice-président du parti d'opposition Frodebu, sous les vivats de la foule: "si Nkurunziza veut que nous quittions les rues, il faut qu'il renonce à son troisième mandat".
Les forces de l'ordre ne sont pas intervenues. Comme c'est le cas depuis lundi, la police, accusée d'être aux ordres du pouvoir présidentiel, était très peu visible dans les zones contestataires, seuls des militaires étant déployés.
Lundi, ceux-ci avaient géré avec beaucoup de difficultés les rassemblements, tirant en l'air sans grand résultat, et montrant d'évidentes dissensions dans leurs rangs sur l'attitude à adopter face aux manifestants, avec des risques évidents de dérapages sanglants en cas de tirs sur la foule.
La plupart des soldats sont restés cantonnés mardi à la périphérie des quartiers les plus chauds, où les habitants s'organisent chaque jour un peu plus de façon autonome pour soutenir les manifestants, maintenir le ravitaillement, mais également surveiller - notamment par des rondes nocturnes - les infiltrations de possibles "espions" du pouvoir et des "Imbonerakure", la ligue de jeunesse du parti présidentiel.
Cette tendance confirme l'enracinement populaire du mouvement, du moins dans la capitale. Elle n'est pas sans rappeler les sombres années précédant la guerre civile entre majorité hutu et minorité tutsi (1993-2006), où quiconque s'aventurait dans un quartier rival était considéré comme suspect et pouvait être arrêté, lynché ou assassiné par les milices ethniques.
- "Une vaste blague" -
Après avoir exigé l'arrêt du "soulèvement" et averti les manifestants qu'ils seront "traités comme des putschistes", la présidence a assuré mardi n'avoir aucun "plan de +vengeance+", soulignant que les "personnes impliquées" dans le coup d'Etat manqué "seront poursuivies par la justice, et uniquement par elle".
Voulant prendre au mot la présidence, qui avait assuré ce week-end qu'elle autoriserait la réouverture de plusieurs radios indépendantes fermées depuis le coup d'Etat, le directeur de la Radio-Télévision Renaissance s'est vu opposer une fin de non-recevoir d'une dizaine de policiers postés devant sa station.
Renaissance, la RPA (radio la plus écoutée du pays), Bonesha et Isangarino avaient été attaquées - par des forces pro-Nkurunziza, selon les responsables de ces médias - après avoir relayé le message des putschistes. Elles sont depuis lors réduites au silence, leurs locaux ayant été endommagés et leur matériel partiellement ou totalement détruit.
"La présidence a fait semblant de condamner (ces attaques), elle a dit que nous pouvons recommencer à émettre quand nous voulons, mais c'est une vaste blague", a dénoncé le directeur de Renaissance, Innocent Muhozi, fustigeant le double langage du pouvoir.
Le président Nkurunziza "a ordonné au ministère public une enquête urgente sur le rôle de tous les médias privés dans la crise, sur une évaluation des dégâts subis (par les médias) et l'identification des auteurs de ces dégâts", a rétorqué un conseiller présidentiel, Willy Nyamitwe, justifiant la fermeture des radios attaquées "à des fins d'enquête". "Il faut instaurer dans notre pays une presse responsable, libre mais responsable", a-t-il souligné.
Il ne reste aujourd'hui quasiment plus de presse privée au Burundi. Seule la radio télévision publique (RTNB) continue d'émettre et relaie uniquement le message présidentiel. Les journalistes de la presse internationale en revanche ont jusqu'ici bénéficié d'une totale liberté de mouvement pour couvrir les évènements, même si la nervosité grandissante du pouvoir est de plus en plus perceptible.
Jugeant le climat "peu propice" à des échéances électorales, l'Union Européenne et les pays des Grands lacs ont recommandé le report des scrutins à venir - la présidentielle du 26 juin, mais aussi les municipales et législatives prévues dans une semaine - alors que le pays est en théorie déjà en campagne.
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