Dernier grand cours d'eau indompté de Chine, le fleuve Salouen, qui dégringole du Tibet vers la Birmanie, fait l'objet d'un programme très controversé de construction de barrages qui menace l'environnement et bouleverse l'existence des minorités ethniques.
Dans cette région des contreforts de l'Himalaya, les pics glacés ont beau dépasser 5.000 mètres d'altitude, ils n'empêchent pas l'avancée à marche forcée des planificateurs communistes.
Longeant les méandres de la Salouen --appelée en chinois fleuve "Nu"--, une route unique donne accès à la vallée encaissée. Au-delà du bourg de Bingzhongluo, elle devient difficilement carrossable.
Une lamaserie aux toits dorés rappelle qu'on se trouve à une centaine de kilomètres du Tibet. Vingt-six moines vivent ici, plus une trentaine de novices. La plupart ne parlent pas le mandarin.
"Dans le bouddhisme, l'harmonie entre l'homme et la nature est cruciale", affirme Zhaxidoujie, un lama érudit assis devant un feu de bois. "Notre écosystème est très riche. La construction de barrages provoquerait la disparition de nombreuses espèces animales et végétales".
Prenant sa source sur le haut plateau tibétain, longue de 2.800 kilomètres, la Salouen présente des visages contrastés, avec des canyons vertigineux en amont et une courte portion navigable près de son delta en aval.
Avant de se jeter dans le golfe de Martaban, au nord de la mer d'Andaman, le fleuve traverse l'état birman Shan et sert de frontière entre la Birmanie et la Thaïlande, à la latitude de Chiang Mai.
Côté chinois, avec le Yangtsé et le Mékong, la Salouen est l'un des "trois fleuves parallèles", classés au patrimoine mondial, dans le nord-ouest montagneux de la province du Yunnan.
Le cours supérieur de ces trois fleuves "présente probablement la plus riche biodiversité de toutes les zones tempérées de la planète", selon l'Unesco.
Cette variété se retrouve dans le patchwork d'identités culturelles qui vivent dans les gorges de la Salouen. Qu'ils soient tibétains, du groupe ethnique loutse, lisu ou autres, ces habitants ont longtemps résisté à l'influence des Han, l'ethnie majoritaire en Chine.
- Agriculture non mécanisée -
Sur place, on croise encore des femmes coiffées d'une casquette Mao, un imposant panier en bambou dans le dos, retenu par une sangle frontale.
Ces paysannes descendent de leurs lopins en terrasses, chargées d'une plante au nom scientifique d'"amomum tsao-ko", variété de cardamome aux vertus aromatiques et médicinales.
Une fois leur récolte du jour vendue chez un grossiste, elles empruntent l'un des ponts suspendus sur la Salouen pour gagner leur village, où les masures sont accrochées à la pente.
A l'intérieur, le mobilier est rudimentaire. Le plancher est en jonc tressé et, souvent, au centre de la pièce principale, on trouve un foyer chauffant une marmite, surplombé de gros morceaux de lard suspendus.
En contraste avec ce décor qui semble immuable, le développement imprime ses marques le long du fleuve, kilomètre après kilomètre, toujours plus en amont.
Les maisons en bois aux toits d'ardoise laissent place à des habitations de parpaings ou de béton. Des lignes à haute tension sont tirées sur les versants défrichés. La région est couverte par la téléphonie mobile.
Sur cette route menant au Tibet, la police a même installé des portiques équipés de caméras qui flashent les véhicules.
Les cascades latérales qui dévalent vers le fleuve sont, l'une après l'autre, canalisées pour alimenter de petites centrales hydroélectriques.
Selon un plan de développement de l'énergie rédigé en 2003, la Salouen devait se hérisser de 13 barrages. Aucun n'a pour l'instant vu le jour.
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