A quelques jours de l'Eurovision, le groupe roumain Voltaj répète assidûment. Il a une double mission à Vienne: représenter son pays et être la voix des dizaines de milliers d'enfants de Roumanie qui grandissent sans leurs parents, partis travailler à l'ouest.
Dans sa chanson "All over again" ("Tout recommencer"), ce groupe de pop-rock très populaire dans cet ancien pays communiste de quelque 20 millions d'habitants raconte la tristesse des enfants et veut attirer l'attention sur ce revers de l'émigration souvent méconnu en Europe occidentale.
Le problème affecte des "générations entières d'enfants", qui risquent de souffrir "d'un traumatisme sévère sur le long terme", déplore Calin Goia, chanteur de Voltaj dans un entretien à l'AFP.
Selon les estimations des ONG Alternative Sociale et Save the children, près de 10% des enfants roumains, soit 350.000, ont actuellement au moins un parent à l'étranger. Les chiffres officiels parlent de 82.339 enfants.
En Bulgarie voisine, le pays le plus pauvre de l'Union européenne -suivi par la Roumanie-, ils sont 267.700 à partager ce sort, a dévoilé une étude récente de la fondation Partners Bulgaria.
Les petits sont gardés par leurs grands-parents, oncles ou tantes, certains vivent aussi dans des foyers. Leur sentiment d'abandon les rend vulnérables à la dépression, avertissent les ONG.
"Mon ami Gabi me dit que sa mère lui manque beaucoup. La fin de l'année scolaire approche et il n'a personne pour se réjouir de ses résultats", mise à part sa grand-mère, confie Cornelia, neuf ans.
Aujourd'hui cette fillette vit avec sa mère, mais a connu pendant plus de quatre ans le même drame que son ami. Sans logement et sans emploi, ses deux parents s'étaient résolus à émigrer: ils ont travaillé dans l'agriculture en Grèce, en Allemagne et en Serbie.
"Cornelia avait un an et 10 mois quand nous sommes partis. Je l'entendais au téléphone m?appeler +maman, maman+ et je me mettais à pleurer", se souvient Dana, 29 ans, qui a aussi une autre fille, Maria, âgée de quatre ans.
Seul son mari travaille à présent à l'étranger, en Belgique. Elle est rentrée pour élever ses filles dans un village du sud de la Roumanie, près de Craiova. Elles vivent dans une maison encore en construction, sans plâtre ni peinture à l?extérieur, avec une salle à manger improvisée, sans fenêtre ni portes, où se promènent leurs poules.
- 'Je veux travailler en Roumanie'-
Environ trois millions de Roumains ont émigré à l'Ouest en deux grandes vagues: après la chute du régime communiste en décembre 1989 puis lors de l'entrée du pays dans l'UE en 2007. Ils travaillent principalement en Espagne et en Italie. En 2014, ils ont envoyé 2,5 milliards d'euros à leurs proches, selon la Banque centrale de Roumanie.
Chaque été, 60% des adultes du village de Cornelia sont employés à l'étranger pour des travaux saisonniers, estime Elisabeta Vieru, travailleuse sociale de l'ONG World Vision Roumanie (WVR) qui aide ces familles.
Au-delà de la détresse des enfants et de leur entourage, elle observe aussi une évolution positive des mentalités. Les parents "réalisent qu'on ne peut pas s'en sortir facilement sans éducation et ils encouragent leurs enfants à bien étudier", dit-elle.
Cornelia, elle, aimerait de devenir professeur de musique. Mais pas à l'étranger. "Je veux travailler en Roumanie, pour rendre ma mère, ma soeur et mon père heureux et pour qu'on ne se sépare jamais", confie-t-elle.
Le WVR a mis en place un vaste programme, soutenu aussi par Voltaj, pour aider tous les enfants dans une situation similaire à réaliser leur rêve.
Après le lancement de la chanson "All over again", en compétition dans la demi-finale de l'Eurovision du 19 mai, le groupe a créé une plateforme en ligne (www.delacapat.ro/en/), qui vise notamment à soutenir les enfants dont les parents travaillent à l'étranger.
"On m'a demandé si je pensais que ce thème intéresserait un public étranger. Je crois que oui, car la relation enfant-parent est universelle", déclare le chanteur Calin Goia. "Si on est Britannique et qu'on a son gamin à côté de soi, on peut comprendre ce que ressentent des parents forcés de laisser leurs enfants derrière eux".
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