L'actuel n°2 de la rédaction du Monde, Jérôme Fenoglio, proposé par les actionnaires pour diriger le quotidien du soir, n'a, contre toute attente, pas recueilli mercredi les suffrages nécessaires auprès de la rédaction, plongeant le journal dans une nouvelle crise de gouvernance.
"Jérôme Fenoglio ne sera pas le nouveau directeur du Monde", titrait sur son site internet le quotidien, qui a vu défiler une demi-douzaine de directeurs depuis 2010.
Alors qu'il devait rassembler 60% des votes des journalistes pour décrocher un mandat de six ans, le candidat choisi par les actionnaires du journal (Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse) n'a obtenu que 55% de oui, a annoncé la Société des rédacteurs du Monde (SRM).
Mi-avril, le trio "BNP", pour Bergé-Niel-Pigasse, avait créé la surprise en proposant aux salariés de confier la direction du quotidien à Jérôme Fenoglio, qui n'était pas candidat.
Ils écartaient ainsi les trois candidatures déclarées, celle de Christophe Ayad, chef du service international, et de Jean Birnbaum, responsable du "Monde des Livres", et celle du directeur du journal par intérim, Gilles van Kote.
La candidature de "Fenog", "pur produit" du journal où il a fait toute sa carrière, "a visiblement pâti de l'attitude des actionnaires qui ont prolongé l'intérim au-delà du raisonnable et contourné la procédure qu'ils avaient eux-mêmes mise en ?uvre", affirme dans un communiqué interne la SRM qui, "consciente de l'urgence de la situation", promet de réunir "rapidement" ses membres.
"C'est le début d'une crise de gouvernance, c'est une crise de système", "c'est totalement inédit", a déclaré à l'AFP Alain Beuve-Méry, président de la SRM.
"Les causes sont multiples", juge-t-il. Outre la manière dont s'est déroulé le processus de nomination, "le projet (de Jérôme Fenoglio) était très numérique, il est clair qu'il pouvait inquiéter une partie des rédactions".
- 'Vote de protestation' -
Dans son "projet pour Le Monde", envoyé lundi à tous les salariés, l'intéressé souhaitait notamment proposer "d'amplifier le succès" du choix du freemium, soit le mélange de services gratuits et payants.
S'il disait vouloir que le quotidien reste "encore longtemps la colonne vertébrale de nos offres payantes", le postulant entendait développer les nouveaux supports, en mettant l'accent sur la vidéo et le mobile, alors que Le Monde vient de lancer une édition numérique matinale pour les smartphones.
"On avait quelqu'un qui connaissait les dossiers, était compétent. Et pour montrer qu'on est indépendants des actionnaires on met en péril l'avenir de la rédaction. C'est très flou", commentait une journaliste.
"C'est un vrai vote de protestation contre l'attitude des actionnaires qui ont essayé d'imposer un candidat. La rédaction a voulu montrer qu'on ne s'assoit pas sur ses pouvoirs", a déclaré à l'AFP Sylvia Zappi, déléguée du syndicat CFDT, alors que l'élection s'est déroulée sur fond de mécontentement après un processus de sélection jugé "tronqué" par une partie de la rédaction.
Avant de procéder au vote, les journalistes avaient adopté à l'unanimité un texte pour "marquer (leur) désapprobation sur la manière dont les actionnaires se sont comportés", expliquait-on en interne.
Diplômé de l'Ecole de journalisme de Lille, Jérôme Fenoglio est entré au Monde en 1991, aux Sports. Passé par les services Société et Sciences, puis Le Monde 2, un temps grand reporter, il a dirigé le Monde.fr de 2011 à 2013, avant de devenir directeur des rédactions en mai 2014.
Cette crise de gouvernance est loin d'être une première au sein du journal. S'il avait été désigné, Jérôme Fenoglio aurait été le sixième directeur du Monde depuis 2010, date d'arrivée du trio Bergé-Niel-Pigasse.
La dernière directrice élue en date, Natalie Nougayrède, avait démissionné en mai 2014, un an après sa prise de fonction et au terme de plusieurs mois de conflit avec la rédaction. Gilles van Kote assure depuis l'intérim.
Natalie Nougayrède, première femme à accéder à la tête du journal fondé en 1944, succédait elle-même à Erik Izraelewicz, décédé en novembre 2012. La candidature de cette journaliste au parcours reconnu et respecté avait été approuvée à 79,4% par les quelque 400 membres de la Société des rédacteurs.
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