Les députés ont approuvé mardi à une large majorité le projet de loi sur le renseignement, défendu au nom de la lutte antiterroriste par le gouvernement mais cible de critiques sur le risque de "surveillance de masse".
Le texte a recueilli 438 voix pour, 86 contre et 42 abstentions. Ce vote ne met pas un terme aux controverses qui se poursuivront fin mai au Sénat.
Le projet de loi définit les missions des services de renseignement (de la prévention du terrorisme à l'espionnage économique) ainsi que le régime d'autorisation et de contrôle des techniques d'espionnage (écoutes, pose de caméras ou de logiciel-espion, accès aux données de connexion, etc.).
Selon Manuel Valls, ce texte permettra aux services de renseignement d'être "le plus efficaces possible face à la menace terroriste mais aussi dans la lutte contre la grande criminalité ou contre l'espionnage économique". Il a dénoncé "des accusations insupportables" de la part de ceux qui parlaient de texte "liberticide".
Dans un souci d'apaisement, François Hollande avait annoncé par avance qu'il saisirait lui-même le Conseil constitutionnel au terme de la navette parlementaire, fait inédit, pour apporter la "garantie" que ce texte est "bien conforme" à la Constitution.
La grande majorité des députés UMP (143) ont voté pour, leur président Christian Jacob estimant que "la première des libertés, c'est la sécurité".
- Un algorithme contesté -
Néanmoins, 35 UMP ont voté contre (20 se sont abstenus), parmi lesquels des spécialistes du numérique comme Lionel Tardy et Laure de la Raudière, mais aussi des élus proches de la Manif pour tous comme Claude Goasguen ou Jean-Frédéric Poisson qui s'inquiètent de la possibilité de surveiller "tout organisateur de manifestations".
Un groupe de 75 députés, dont 66 UMP, entend d'ailleurs saisir le Conseil constitutionnel "pour poser leurs propres questions", indépendamment de la saisine de M. Hollande.
A l'UDI, 17 députés ont voté pour, dont le président du parti Jean-Christophe Lagarde et 11 contre dont l'ancien ministre de la Défense Hervé Morin. Les deux FN ont suivi leur présidente Marine Le Pen, qui juge la future loi "dangereuse" pour les libertés publiques.
De leur côté, la très grande majorité des députés PS, comme tous les radicaux de gauche ont voté pour, préférant à l'instar du président de l'Assemblée Claude Bartolone une "loi" plutôt que des "officines sans contrôle démocratique".
Dix socialistes, dont Aurélie Filippetti, ont cependant voté contre, et 17 se sont abstenus dont le leader des "frondeurs" Christian Paul.
Les élus Front de Gauche ont voté contre par "sens de l?État de droit", tout comme une majorité du groupe écologiste. Ils ont ainsi relayé les craintes de la Cnil, du Défenseur des Droits Jacques Toubon, de syndicats de magistrats ou d'acteurs du numérique, sur les pouvoirs "exorbitants" donnés aux services. Plusieurs centaines de protestataires s'étaient rassemblés lundi aux abords de l'Assemblée nationale pour une manifestation "24 heures avant 1984", en allusion au célèbre roman de George Orwell.
Un point en particulier a cristallisé les débats: la mise en place, sur les réseaux des opérateurs, d'outils d'analyse automatique (un algorithme) pour détecter par une "succession suspecte de données de connexion" une "menace terroriste", un dispositif qualifié de "boîte noire" par ses détracteurs qui le comparent aux pratiques de "surveillance généralisée" de la NSA américaine.
En revanche, le rapporteur du texte (PS) Jean-Jacques Urvoas met en avant le renforcement du contrôle des services avec la création d'une "Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement". Composée principalement de parlementaires et magistrats, elle devra donner un avis préalable à chaque mise en ?uvre de ces techniques, sauf en cas d'urgence, et pourra saisir le Conseil d?État en cas d'abus.
Ce nouveau cadre rassure en partie les membres des services de renseignement, inquiets depuis des années d'opérer dans un vide juridique, mais pour d'autres il va constituer paradoxalement un frein à leurs activités.
"Il n'y a rien dans cette loi que les services ne mettaient pas déjà en pratique. Mais si les procédures se multiplient, un gars qui va demander une autorisation et attendra des heures pour avoir la réponse, ou si elle lui est refusée, il le fera une fois, deux fois, à la troisième, il ne fera plus rien", confie à l'AFP le responsable d'un service.
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