Les députés devraient approuver mardi après-midi le projet de loi sur le renseignement, défendu au nom de la lutte antiterroriste par le gouvernement mais cible de multiples critiques, dans et hors de l'hémicycle, contre la menace "d'une surveillance de masse".
Face à la controverse, François Hollande a annoncé qu'il saisirait lui-même le Conseil constitutionnel, fait inédit sous la Ve République, au terme de la navette parlementaire - le texte doit passer au Sénat fin mai - pour apporter la "garantie" que ce texte est "bien conforme" à la Constitution.
Le projet de loi définit les missions des services de renseignement (de la prévention du terrorisme à l'espionnage économique) ainsi que le régime d'autorisation et de contrôle des techniques d'espionnage (écoutes, pose de caméras ou de logiciel-espion, accès aux données de connexion, etc.).
Même si le gouvernement a fait de la menace terroriste un argument à l'appui de son texte, Manuel Valls a rejeté les accusations de "loi de circonstance" après les attentats de janvier, rappelant que la "décision de légiférer a été prise par le président en juin 2014" pour donner un cadre aux services qui opéraient avec une loi sur les écoutes remontant à 1991 "quand il n'y avait ni téléphone portable ni internet".
L'adoption du texte semble acquise dans la mesure où de nombreux députés UMP (Xavier Bertrand, Nathalie Kosciusko-Morizet, Eric Ciotti) ont indiqué qu'ils le voteraient, suivant en cela la position de Nicolas Sarkozy.
- Critiques aussi à droite -
Mais les débats à l'Assemblée se sont révélés moins consensuels que prévu, avec de manière inattendue de fortes voix dissidentes à droite.
Parmi elles, des spécialistes des questions numériques comme Lionel Tardy et Laure de la Raudière (qui va avec Pierre Lellouche réunir 60 députés pour saisir également le Conseil Constitutionnel), mais aussi des élus proches de la Manif pour tous comme Jean-Frédéric Poisson qui s'inquiète de la possibilité de surveiller "tout organisateur de manifestations". François Fillon prédit également une censure du Conseil, mais votera néanmoins pour
A l'UDI, l'ancien ministre de la Défense Hervé Morin a déploré "la création de grands +filets dérivants+ collectant de l'information infinie". La présidente du FN Marine Le Pen a qualifié "d'indigne" la future loi, "dangereuse" pour les libertés publiques.
Pour le président PS de l'Assemblée Claude Bartolone, mieux vaut cependant une "loi" plutôt que des "officines sans contrôle démocratique".
Au groupe PS cependant, certains élus comme Jean-Patrick Gille et Pouria Amirshahi voteront contre, dans la mesure où "la vie privée - et donc les libertés - sont atteintes", selon ce dernier.
Les députés Front de Gauche et écologistes devraient eux voter contre ou s'abstenir, relayant les craintes de la Cnil, du Défenseur des Droits Jacques Toubon, de syndicats de magistrats ou d'acteurs du numérique, sur les pouvoirs "exorbitants" donnés aux services. Cette opposition s'est manifestée notamment lors d'une journée de mobilisation lundi, organisée par le collectif "24 heures avant 1984".
Un point en particulier a cristallisé les débats: la mise en place, sur les réseaux des opérateurs, d'outils d'analyse automatique (un algorithme) pour détecter par une "succession suspecte de données de connexion" une "menace terroriste", un dispositif qualifié de "boîte noire" par ses détracteurs qui le comparent aux pratiques de surveillance généralisée" de la NSA américaine.
L'exécutif met au contraire en avant le renforcement du contrôle des services avec la création d'une "Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement". Composée principalement de parlementaires et magistrats, elle devra donner un avis préalable à chaque mise en ?uvre de ces techniques, sauf dans des cas d'urgence, et pourra saisir le Conseil d'Etat en cas d'abus.
Ce nouveau cadre rassure en partie les membres des services de renseignement, inquiets depuis des années d'opérer dans un vide juridique au risque de poursuites éventuelles, mais pour d'autres il va constituer paradoxalement un frein à leurs activités.
"Il ne faut pas se le cacher", confie à l'AFP un responsable d'un service. "Il n'y a rien dans cette loi que les services ne mettaient pas déjà en pratique. Là, si les procédures administratives se multiplient, un gars qui va demander une autorisation et attendra des heures pour avoir la réponse, ou si elle lui est refusée, il le fera une fois, deux fois, à la troisième, il ne fera plus rien".
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