Ce devait être une fête, le soir de ses 85 ans. Mais le concert de Jean Guillou samedi à Saint-Eustache prend une tournure particulière pour un anniversaire: le célèbre organiste, s'estimant peu respecté, a décidé de claquer la porte de l'église parisienne.
"Je vais donner ce concert samedi et après je ne mettrai plus jamais les mains sur cet orgue ni les pieds dans cette église", assure dans un entretien à l'AFP ce musicien au parler franc et à la farouche indépendance.
L'histoire pourrait paraître anecdotique s'il ne s'agissait de Jean Guillou, concertiste mondialement connu ayant beaucoup enregistré chez Philips, compositeur prolixe édité par la maison allemande Schott, pédagogue jadis très recherché de Lisbonne à Zurich, inlassable concepteur d'orgues Et titulaire pendant plus d'un demi-siècle, à partir de 1963, de la tribune de l'église Saint-Eustache, l'une des plus prestigieuses de France, au coeur de la capitale.
Il n'était pas question pour ce natif d'Angers de s'accrocher à son banc à son âge avancé. Mais "ayant joué bénévolement durant tout ce temps, je pensais avoir le droit de désigner mon successeur. Non seulement le curé n'a pas accepté, mais il a chassé mes assistants pour tout à coup établir un concours, alors que j'ai toujours été contre ce principe", se désole-t-il. Pour lui succéder, un jury a choisi en mars Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et Thomas Ospital, "deux jeunes organistes contre qui je n'ai rien à objecter, mais qui n'ont rien à voir avec moi".
"Je plains les pauvres organistes qui devront se plier toujours plus aux volontés d'un clergé de moins en moins cultivé et mélomane", tranche l'organiste, peu porté sur la liturgie. "Les prêtres, en général, n'ont aucune connaissance musicale. Je n'ai jamais très bien compris quelle pouvait être leur conception de l'orgue: on fait de la musique ou on n'en fait pas".
- La Légion d'honneur ? Non merci -
Jean Guillou ne déteste pas les coups d'éclat. Au printemps 2010, pour ses quatre-vingt ans, il s'étonnait d'être l'objet d'une fête à Bonn alors que pas le moindre concert n'était donné en son honneur à Paris. Quelques semaines plus tard, il refusait la Légion d'honneur, irrecevable "à l'heure où la musique dite savante ou classique (voyait) sa place diminuée par toutes les instances officielles".
Aujourd'hui, il ne veut pas davantage du titre de "titulaire émérite" que la paroisse lui a conféré dès septembre 2014. "+Emérite+ ça me fait rire. C'est surtout une manière de m'éloigner", pense-t-il, en assurant que "tous les confrères organistes ont été surpris par cette affaire". Le clergé de Saint-Eustache, lui, n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP pour la commenter.
Le concert de samedi soir (oeuvres de Berlioz, Liszt et Guillou lui-même), accompagné par un orchestre tchèque, marquera "les adieux à la tribune de Saint-Eustache" du maître, proclame l'affiche. "C'est le curé qui a exigé qu'on mette +adieux+, vous voyez l'esprit", peste l'artiste. Mais il était convenu que ce dernier pourrait revenir toucher les cinq claviers de l'énorme instrument aux huit mille tuyaux.
Fâché, il n'en fera rien: "J'ai trente concerts programmés jusqu'à la fin de l'année dans le monde, à Moscou, Montréal Je n'ai vraiment pas besoin de Saint-Eustache".
Il a aussi bon espoir, après trente ans de patience, de trouver enfin des fonds privés pour financer son "orgue à structure variable", un instrument aux multiples buffets amovibles destinés à entourer le public des salles de concerts. "Au fond, je trouve que la musique n'a rien à voir avec les religions. J'ai toujours dit qu'il fallait sortir l'orgue des églises et lui donner une autre vie!"
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