En tapant "avion Paris-Berlin" dans le moteur de recherche Google, l'utilisateur s'imagine avoir accès à une sélection pertinente de l'offre des compagnies aériennes. En réalité, la page qui s'affiche est hiérarchisée selon une logique propre à Google, et contre laquelle la Commission européenne a lancé l'offensive mercredi.
En tête des quelque 1,35 million de résultats, des annonces dites "sponsorisées", signalées par un onglet jaune. Tout comme les occurrences qui apparaissent dans la colonne de droite, ces résultats n'arrivent pas là par hasard: les propriétaires des sites indexés ont payé Google, ou plutôt sa régie de publicité, Adwords.
Les clients de Google "achètent" des mots-clés pour que leurs liens apparaissent. Ensuite, c'est principalement celui qui paye le plus cher qui est placé le plus haut, selon un système d'enchères, explique Jonathan Vidor, président de Jvweb, société spécialisée dans le référencement sur Google. Selon lui, en France par exemple un simple clic se monétise entre 70 et 80 centimes d'euro.
Mais ce ne sont pas ces liens qui dérangent la Commission européenne dans les poursuites qui font l'actualité ce mercredi. C'est l'encadré placé en-dessous, qui indexe les "Vols de Paris à Berlin": il s'agit du service Google Flights, le comparateur de vol du moteur de recherche.
Car avant-même la recherche dite "naturelle" ou "organique", c'est-à-dire le fil qui se déroule en-dessous, Google met en avant ses propres services, avant ceux d'Expedia, Edreams, Opodo ou Ebookers, autres concurrents dans le secteur aérien.
C'est d'ailleurs Expedia, aux côtés notamment de Microsoft, Oracle et Tripadvisor, qui a porté plainte fin 2010 auprès du gendarme européen de la concurrence contre le groupe américain.
Après des années de conciliation, Bruxelles est passé mercredi à l'offensive, accusant Google d'abus de position dominante, ce qui pourrait lui valoir une gigantesque amende de 6 milliards de dollars.
L'opération du Paris-Berlin peut se transposer avec les mots "pantalon rouge", "hôtel Sydney", "machine à laver", mais aussi "Empire road Johannesburg", ou encore "traduire consumer en français": à chaque fois, les services de Google -- Shopping, Maps, Hotels Finder, Google Traduction -- sont mis en avant dans la page.
- "Pas d'autre modèle économique" -
"Google est historiquement un moteur de recherche, mais c'est aujourd'hui tout un écosystème de services", indique à l'AFP Olivier Ertzscheid, maître de conférence à l'université de Nantes.
Pourtant, selon lui, "une société sur internet n'a pas d'autre modèle économique que de mettre en avant ses propres services".
"C'est comme si vous reprochiez à Leclerc de ne pas annoncer dans ses magasins qu'il existe aussi Carrefour et Auchan", décrit-il, avant d'ajouter: "Le problème, c'est que ce n'est pas transparent: quand vous entrez sur Google, vous n'êtes pas nécessairement au courant qu'il existe des concurrents".
Google est en effet en position ultra-dominante en Europe: le géant américain représente aujourd'hui 90% des recherches sur internet. "Bing, par exemple, fait des actions comparables, mais personne ne porte plainte", complète M. Vidor.
La question se pose aussi pour la recherche "organique" ou "naturelle", en-dessous des liens sponsorisés, organisée selon un algorithme gardé secret par Google.
Par le passé, "certains concurrents ont constaté que l?algorithme avait été modifié, et ont vu leur fréquentation chuter de 30%", rappelle Cyril Brosset, de l'UFC-Que Choisir. "On peut espérer que Google modifie son algorithme dans l'intérêt du consommateur, mais ce que les concurrents craignent, c'est qu'ils fassent reculer les autres comparateurs de prix par cet intermédiaire".
"Il ne faut pas que les gens croient que Google, c'est internet: c'est un moyen d'accéder à certains contenus. Google fait son tri, et il n'est pas toujours neutre", souligne M. Brosset.
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