La justice turque a ouvert lundi le procès de la catastrophe industrielle la plus meurtrière de l'histoire du pays, qui a coûté il y a près d'un an à Soma la vie à 301 mineurs et terni l'image du régime du régime du président Recep Tayyip Erdogan.
Quarante-cinq personnes sont poursuivies dans ce dossier, dont les huit plus hauts cadres de l'exploitant de la mine (le groupe Soma Kömür), poursuivis pour avoir délibérément négligé la sécurité de leurs ouvriers au nom d'une course effrénée à la rentabilité.
Le procès, très attendu, a débuté lundi dans la matinée dans la ville d'Akhisar (ouest), à une quarantaine de kilomètres des lieux du drame, sous très forte protection policière et dans la plus grande confusion.
Des centaines de parties civiles, épouses, pères ou mères des victimes, et leurs avocats se sont tassées dans le centre culturel de la ville spécialement aménagé en tribunal. Dès le début des débats, certains s'en sont pris au président du tribunal pour dénoncer leur situation. "Nous voulons la justice !", ont-ils crié, provoquant l'entrée des forces de l'ordre, sous les sifflets.
Symboliquement, environ 200 parents des victimes, certains coiffés de casques de mineurs, sont arrivés en cortège devant le tribunal, derrière une immense banderole noire portant les noms des 301 ouvriers morts le 13 mai 2014.
"Mon frère est mort à Soma, j'ai perdu 301 frères dans cette mine", a déclaré à l'AFP l'un d'eux, Murat Aybak. "Je veux que tous ceux qui étaient responsables, que tous ceux qui ont donné des ordres, tous ceux qui nous ont fait travailler comme ça soient punis pour leurs fautes", a ajouté M. Aybak, lui-même ancien mineur.
En conclusion de son enquête, le procureur a requis contre les huit responsables de Soma Kömür, exceptionnellement inculpés de "meurtres", des peines d'une extrême sévérité allant jusqu'à vingt-cinq ans de prison pour chacune des victimes de l'accident.
Trente-sept autres personnes, techniciens et ingénieurs de la société ou agents du ministère de l'Energie chargés de contrôler la mine sont poursuivis pour homicides involontaires.
- 'Surexploitation' -
A la grande colère des familles de victimes, ces huit accusés ne participeront aux débats que par vidéo-conférence, pour des raisons de sécurité. Un écran géant accroché au-dessus des juges les montrait assis sur des bancs, entourés de policiers, dans une salle de leur prison d'Izmir (ouest).
Le drame s'est noué le 13 mai 2014 en début d'après-midi, lorsqu'un incendie a éclaté dans un des puits de la mine de charbon du groupe Soma Kömür, prenant au piège les quelque 800 mineurs qui travaillaient à plusieurs centaines de mètres sous terre.
Selon l'enquête, l'incendie s'est rapidement propagé à plusieurs galeries, envahies par les flammes et les émanations mortelles de monoxyde de carbone. De nombreux mineurs sont morts très rapidement, brûlés ou intoxiqués.
Après quatre longues journées de recherche, le bilan définitif de la catastrophe s'établira à 301 morts et 162 blessés.
Dans les mois qui ont suivi, les experts judiciaires ont imputé à Soma Kömür une impressionnante série de défauts de sécurité, du manque de détecteur de monoxyde de carbone au mauvais fonctionnement des masques à gaz des mineurs.
Les procureurs ont également mis en cause la "surexploitation" de la mine par l'entreprise et son PDG Can Gurkan, le principal accusé du procès, qui se vantait avant l'accident d'avoir divisé par cinq le coût de production de la tonne de charbon.
"La direction de l'entreprise était parfaitement consciente du danger de mort qui pesait sur les ouvriers. Ils auraient dû fermer des galeries mais ne l'ont pas fait pour protéger leurs marges", a dénoncé à l'AFP Selçuk Kozagacli, un avocat des parties civiles.
A moins de deux mois des élections législatives du 7 juin, les avocats des familles des victimes ont annoncé leur intention de mettre en cause le gouvernement, accusé d'avoir négligé l'ampleur du drame et couvert les fautes des dirigeants de l'entreprise exploitante, présentés comme proches du pouvoir.
Juste après la catastrophe de Soma, le gouvernement a fait voter une loi pour renforcer la sécurité dans les mines. Mais cinq mois plus tard, un nouvel accident a à nouveau tué dans un puits de charbon de Karaman (sud), faisant cette fois 18 victimes.
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