"Les enfants du silence" qui avait révélé au grand public le monde des sourds lors de sa création en 1993 avec Emmanuelle Laborit, est monté à la Comédie-Française, un travail "colossal" puisqu'il a fallu apprendre la langue des signes, confie Françoise Gillard, qui joue le rôle principal.
"C'est la première fois en France que la pièce est jouée par des entendants, explique-t-elle. C'est très délicat de toucher un mythe comme celui-là, parce que c'est une pièce très particulière, qui a vraiment attiré l'attention à l'époque sur le monde de la surdité."
La pièce de l'Américain Mark Medoff, "Children of a Lesser Kind", est un immense succès dès les années 1880 aux Etats-Unis puis à Londres. Elle est adaptée au cinéma en 1986 avec William Hurt.
En 1993, la pièce est montée en France avec Emmanuelle Laborit, qui décroche un Molière de la révélation théâtrale pour son interprétation. Elle incarne Sarah, une sourde, ancienne élève devenue femme de ménage dans un institut pour sourds, qui refuse d'apprendre à lire sur les lèvres, revendiquant son propre langage.
Monter la pièce à la Comédie-Française, temple de la langue de Molière, n'est pas anodin: c'est toucher d'emblée une large audience et ouvrir l'institution au handicap, à la différence. Mais pour les comédiens, l'investissement est colossal: "Des heures et des heures d'apprentissage de la langue des signes avec un coach", explique Françoise Gillard, qui sera sur scène du 15 avril au 17 mai.
Le coach c'est Joël Chalude, qui jouait le rôle de l'orthophoniste amoureux de Sarah dans la pièce de 1993 avec Emmanuelle Laborit. Pour former les quatre comédiens à la langue des signes - Laurent Natrella, qui joue l'orthophoniste, Françoise Gillard, Elliot Jenicot et Anna Cervinka, qui jouent deux malentendants - les cours ont débuté il y a presque un an.
- Langue interdite -
"C'est très difficile, cela demande une mémoire des gestes, alors que nous autres comédiens avons surtout une mémoire des mots, décrit Françoise Gillot. Un mouvement de doigt mal placé et c'est un tout autre sens, il faut être extrêmement précis."
"Je me suis demandée si j'étais bien légitime pour faire ça, si je n'allais pas trahir le monde des sourds qu'en plus je connais bien et que je respecte", dit-elle avec pudeur. La propre soeur de la comédienne est sourde de naissance. Elle parle, lit sur les lèvres et pratique la langue des signes. "Pour moi ce n'était pas un handicap, ma soeur était déjà là quand je suis née et c'était simplement une différence".
Depuis les années 1980, le contexte a changé: la langue des signes, interdite en France à partir de 1880, est reconnue comme langue officielle française depuis 2005.
"Au delà de la surdité, c'est une histoire d'amour entre deux êtres qui s'aiment mais qui ne peuvent pas fonctionner bien ensemble parce qu'il y a quelque chose entre eux de très différent. Parfois, vous pouvez vous aimer très fort et ce n'est pas compatible, pour des histoires de religion, de culture ou de classe sociale, et ça génère de grandes souffrances chez les protagonistes", relève Françoise Gillard.
C'est la deuxième fois cette saison que Françoise Gillard joue "sans parole": cette passionnée du travail sur le corps a en effet créé avec la chorégraphe Claire Richard et d'autres comédiens-français un spectacle dansé, "L'autre", au début de l'année. Auparavant, elle était une "Antigone" vibrante dans la pièce de Anouilh montée par Marc Paquien salle Richelieu.
"J'ai toujours rêvé de personnages où je pouvais développer une physicalité, et ici ça s'impose vraiment", dit-elle. "La langue des signes, c'est comme de petites chorégraphies, qui forment des phrases".
Autre satisfaction, "ma soeur, qui ne vient jamais me voir au théâtre, va venir cette fois, avec un groupe d'amis".
Cinq représentations sont organisées avec surtitrage, en plus des casques d'amplification mis à disposition, pour permettre un meilleur accès aux sourds et malentendants.
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