Carolyne, la fille d'Abraham Koech n'est ni à la morgue, ni sur les listes de survivants. Son père la cherche depuis jeudi, quand de l'université de Garissa, elle l'a appelé pour lui dire que la fac était attaquée par un commando islamiste.
Comme lui, ils sont encore des centaines à chercher, entre angoisse, espoir et colère, un nom sur les listes de rescapés ou un corps à la morgue de Nairobi.
"Je n'ai plus de nouvelles depuis jeudi, quand elle m'a appelé en disant +Il y a des terroristes, je suis cachée sous mon lit+; ensuite j'ai entendu des tirs nourris et ça a raccroché. J'ai essayé de la rappeler plusieurs fois, mais personne n'a répondu. Et à 16H00 son téléphone s'est éteint", raconte Abraham Koech, au Stade Nyayo de Nairobi.
Sur les bords du terrain de football, des employés plient les tentes et ramassent les chaises du Centre de crise, mis en place pour accueillir samedi soir les rescapés, et leurs familles, de l'attaque perpétrée par les islamistes somaliens shebab qui a fait 148 morts.
Carolyne n'y était pas. "Je suis aussi allé à (la morgue de) Chiromo, mais je ne l'ai pas trouvée. Les balles ont déformé les têtes", dit-il, n'excluant pas de ne pas avoir reconnu son corps.
Depuis hier, Abraham Koech, qui est venu à ses frais de la région d'Iten, à 300 km au nord-ouest de Nairobi, fait la navette morgue-stade-morgue etc. "J'attends une nouvelle liste de rescapés, j'ai encore de l'espoir", dit-il calmement.
Autour de lui, d'autres hommes et femmes, dont les nerfs lâchent parfois. Des membres de la Croix-Rouge tentent de réconforter trois femmes effondrées sur la pelouse. Assise, une femme pleure doucement en se confiant à Julia, "conseillère" de l?Église baptiste de Nairobi.
"Les gens () ne savent pas où est leur enfant et reçoivent peu d'information. Certains sont anxieux, d'autres perdus, d'autres en colère particulièrement contre le gouvernement", explique Julia, sans vouloir donner son nom.
"Ils veulent en finir rapidement. Ils préféreraient avoir des nouvelles, même mauvaises. Sans nouvelles vous êtes juste coincés ici", ajoute-t-elle. "Bonne ou mauvaise nouvelle, ils veulent savoir".
- En finir avec l'incertitude -
Ceux qui ne vivent pas à Nairobi sont venus à leurs frais et doivent se nourrir et se loger, car les autorités ne leur ont proposé aucune aide. "Cet homme vient de Machakos", à une soixantaine de km de Nairobi, montre-t-elle, "le gouvernement sait-il où il dort, dans quel état il est"?
L'homme de Machakos - qui ne veut pas donner son nom - cherche sa fille Faith, 20 ans, étudiante en informatique. "Jeudi matin, je l'ai appelée, son téléphone sonnait, mais personne ne répondait, puis le téléphone était éteint", se souvient-il.
"Mon c?ur souffre, je n'ai aucune nouvelle et je ne sais pas ce qui lui est arrivé". Il évoque "un groupe d'étudiants cachés dans la forêt" pour garder espoir. "Quelles que soient les nouvelles que je recevrai, bonnes ou mauvaises, je les prendrai telles quelles. Ce sera la fin de l'incertitude", poursuit-il.
William et Samuel, 27 et 25 ans, attendent eux des nouvelles de leur frère Edward Khaemba, 21 ans, étudiant en sciences de l?Éducation. Le matin de l'attaque, "il a dit à notre père qu'il était pris en otage. Ensuite, ça a coupé" et "depuis nous n'avons plus de nouvelles".
Pas de trace d'Edward sur la nouvelle liste de survivants qui arrive. Mais Samuel reste sûr que son frère est vivant. Une bénévole lui confirme qu'il existe une liste de blessés mais personne ne sait où est cette liste.
La plupart des familles semblent néanmoins résolues au pire. Dimanche, ils n'étaient plus qu'une poignée à Nyayo et au moins 200 à la morgue de Chiromo.
"C'est difficile, il n'y a aucune communication", explique Stephen Asande, qui passe son deuxième jour à la morgue, à la recherche de Josephine Nyaboke, sa nièce de 21 ans.
"Les corps sont en mauvais état", dit-il, "il faut un processus d'identification par les empreintes digitales" systématiquement enregistrées sur les cartes d'identité.
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