En massacrant près de 150 étudiants au Kenya, les islamistes somaliens shebab ont réussi à frapper un grand coup malgré les revers subis chez eux en visant une cible facile de l'autre côté d'une frontière poreuse, dans un pays affaibli par la corruption, notent des experts.
Jeudi, les shebab ont pris d'assaut à l'aube l'université de Garissa, située dans l'est kényan à quelque 150 km de la frontière somalienne.
Tuant d'abord deux gardes de sécurité, ils ont ensuite surpris les étudiants à l'heure de la prière ou encore endormis, séparé les musulmans des non-musulmans, gardé en otages les seconds et entamé leur carnage.
Comme le spectaculaire assaut contre le centre commercial de Nairobi Westgate (67 morts) en septembre 2013, l'attaque de Garissa a été perpétrée par une poignée d'assaillants shebab légèrement armés, contre une foule sans défense massée dans un espace réduit.
Si le siège a été moins long que celui du Westgate (quatre jours), il a tout de même fallu 16 heures aux forces de l'ordre pour venir à bout des assaillants.
Pour Abdirashid Hashi, directeur du centre de recherche somalien Heritage Institute, "en s'attaquant à une cible vulnérable, la stratégie des shebab est de dévaster le tourisme, de terroriser les citoyens et de semer la discorde entre les Kényans".
Outre le Westgate, les islamistes, que le Kenya combat en Somalie au sein d'une force de l'Union africaine (Amisom), ont revendiqué une série d'attaques dans le pays d'Afrique de l'Est, notamment le long des 700 km de frontière qui le séparent de la Somalie.
Ces attaques, qui chacune ont porté un coup au tourisme, traumatisent la population en plus d'humilier police et armée. Mais aucune, depuis le Westgate, n'a sans doute eu la capacité de marquer autant les esprits à l'étranger que celle de Garissa: c'est la plus meurtrière depuis l'attentat contre l'ambassade américaine à Nairobi en 1998 (213 morts).
"Là, on est devant un attentat qui va susciter l'attention publique, du moins au niveau de l'Afrique de l'Est", souligne Hervé Maupeu, maître de conférences à l'université française de Pau (sud-ouest).
- Shebab infiltrés -
A chaque attaque contre le Kenya, les shebab, affaiblis à domicile sur le plan militaire, disent sanctionner la présence militaire kényane en Somalie. Ils menacent aussi les autres pays contributeurs de l'Amisom, mais y passent rarement à l'acte.
Les shebab essaient "de survivre en s'attaquant au seul pays de la zone où c'est facile", poursuit M. Maupeu. Ils hésitent "à frapper l'Ethiopie (à l'armée puissante et disciplinée), l'Ouganda est trop loin, le Burundi aussi". Et Garissa, important centre commercial entre la Somalie et le Kenya, est une cible d'autant plus "facile" qu'elle est proche de la Somalie et abrite les "relais nécessaires".
La corruption, endémique au Kenya, n'aide pas non plus, entravant encore plus le travail de forces de l'ordre régulièrement pointées du doigt pour leur incompétence.
"Il ne faut pas mésestimer le fait qu'au Kenya, la corruption est extrêmement importante", estime Roland Marchal, chercheur spécialiste de la Somalie. "C'est très difficile de contrôler une frontière comme celle-là (), la corruption n'aide pas".
Le problème de la corruption est tel qu'en juillet, la justice kényane, estimant le processus entaché d'irrégularités, a bloqué le recrutement de quelque 10.000 policiers, pourtant jugés essentiels au combat contre les terroristes par le président Uhuru Kenyatta.
Des journaux kényans ont aussi déploré qu'une nouvelle fois, des avertissements des services de renseignements aient été ignorés, comme lors de l'attaque du Westgate.
Face à la menace islamiste, le Kenya est aussi d'autant plus vulnérable qu'il a laissé les islamistes radicaux infiltrer la société, notamment sur la côte majoritairement musulmane et le long de la frontière et qu'à chaque attaque, il joue le jeu des shebab en stigmatisant les musulmans, déplorent les analystes.
"Le Kenya est tristement célèbre () pour une politique () de criminalisation des communautés entières, sans réellement faire le travail de contre-radicalisation qui s'impose (..) pour couper l'herbe sous le pied des radicaux", dénonce M. Marchal, espérant que "petit à petit le Kenya évolue".
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