Son visage est barré d'un immense sourire et sa joie contagieuse ne trahit en rien la longue lutte l'ayant menée au sommet de la restauration espagnole. La Dominicaine Maria Marte refuse qu'on la traite de Cendrillon, mais le surnom lui colle à la peau.
"Derrière tout cela, il y a beaucoup de combats et de travail, ce n'est pas un conte", dit la chef du Club Allard à Madrid, l'un des 21 restaurants deux étoiles du guide Michelin 2015 en Espagne et au Portugal.
Petite femme brune à la peau mate, Maria Marte a quitté il y a seulement douze ans Jarabacoa, ville de l'intérieur des terres en République dominicaine, entourée d'un paysage montagneux de cascades et de fleuves. "J'ai décollé à la recherche d'un visa pour le rêve", dit-elle en paraphrasant le chanteur Juan Luis Guerra, dominicain comme elle et star de la chanson latino-américaine.
Elle avait alors 27 ans, était mère de trois enfants et a atterri directement au Club Allard pour y faire la plonge - comme des milliers d'immigrants. Passionnée de cuisine, cette fille d'une pâtissière et d'un restaurateur de quartier raconte qu'elle observait alors les cuisiniers avec jalousie, rêvant d'être "de l'autre côté" comme eux.
Jusqu'à ce qu'un jour son ami le voiturier lui révèle qu'une place se libérait en cuisine et l'encourage à postuler, seulement trois mois après son embauche. Sa première tentative fut infructueuse. Mais la seconde, couronnée de succès. A une dure condition toutefois: qu'elle continue la plonge.
"Je l'ai pris comme un défi", raconte-t-elle. "Ma vie n'était plus qu'une course", se souvient-elle en décrivant ses journées, où elle enchaînait les services de commis de cuisine puis de plonge, le midi et le soir tout en bataillant à distance pour récupérer la garde de deux de ses enfants restés au pays.
"Parfois je ne pouvais pas rentrer chez moi", dit-elle, évoquant des plages de sommeil sur place, entre des cartons.
Six mois plus tard, le chef Diego Guerrero a tranché: "Il a dit +cette dame est bonne pour la cuisine, il faut la sortir de la plonge", raconte Maria Marte.
"Diego Guerrero () m'a dit que c'était une grande enthousiaste, qu'elle se renouvelait toujours et avait beaucoup de force", indiquait récemment Martin Berasategui, le chef espagnol le plus étoilé.
- Fleur d'hibiscus -
Maria Marte est alors passée par toutes les parties -- pâtisserie, chambre froide, viandes, poissons -- et tous les échelons de l'univers très hiérarchisé de la cuisine: commis, cuisinier, chef de partie, jusqu'à devenir second(e) de Diego Guerrero, à une époque où le restaurant grimpait dans les classements (une étoile en 2007, une deuxième en 2011).
Et puis brutalement, Diego Guerrero est parti en octobre 2013, un moment traumatique pour le restaurant. Très vite, la chef de cuisine a repris les commandes et sauvé le club. Elle a lancé en quelques mois une vingtaine de créations, "elle a renouvelé la carte et chaque plat qu'elle inventait était un succès", raconte la directrice du restaurant d'une quarantaine de couverts, Luisa Orlando.
"Certains critiques ne lui faisaient pas confiance. Elle leur a cloué le bec lorsque Michelin a confirmé les deux étoiles", se souvient David Moralejo, rédacteur en chef de la revue culinaire Tapas Magazine.
Maria Marte est maintenant chef et dirige une brigade de 16 cuisiniers qui travaillent en harmonie. "Ils disent être d'heureux cuisiniers. Pourquoi ? Et bien parce que je suis la première à être heureuse et je leur transmets" cela, dit-elle. Sur les murs, près de la cuisine, elle a affiché ses slogans: "créatifs", "artisans", "délicats", "proches", "drôles".
Maria, élevée entre fourneaux et sucreries, garde la mémoire de ses saveurs de l'enfance, comme la confiture de papaye douce de sa mère. Elle explique créer une cuisine méditerranéenne qui ne renie en rien ses racines caraïbéennes et laisse une place aux épices, mais sans déguiser la saveur originale du produit.
L'une de ses premières créations, "la fleur d'hibiscus à la liqueur de pisco et crumble de pistaches", résume bien l'inspiration de la chef dominicaine: "C'est ma terre, mes origines, une fleur, la délicatesse".
Seule femme deux étoiles de Madrid, Maria Marte "est surtout une excellente cuisinière", qui devrait parcourir encore "beaucoup de chemin", assure David Moralejo.
Son restaurant détient déjà la deuxième meilleure note à Madrid sur le site internet de conseils aux voyageurs Tripadvisor.
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